Andreï Balandine, graphiste, peintre, né en 1968 à Ekaterinbourg dans l’Oural en Russie, a suivi les cours de l’école supérieure des Beaux Arts, a présenté différentes expositions en Russie, notamment à Moscou.
Invité en France en 1991 dans le cadre du Festival du Verbe et de la Création au Mée-sur-Seine (77350), il a rencontré Théophile. Ils ont commis à deux un livre : Petites nouvelles du front qui plisse mais ne rompt pas (textes de Théophile, dessins d’Andreï Balandine).Cette œuvre sera éditée par le CRAC. Théophile, (né en RDA pendant la deuxième guerre mondiale, sa mère ukrainienne était internée par les allemands dans un camp de travail russe où elle a rencontré son père réfugié espagnol déporté par les français), était considéré comme le chansonnier freak de l’amer et du marginalisme. Il avait obtenu le prix de l’humour noir. Petites nouvelles du front qui plisse mais ne rompt pas, CRAC éditeur – Centre de Recherche Culturelle et Artistique – 4 Seauve, 23700 Arfeuille Châtain. Chèque de 20 € à l’ordre du CRAC.
Proverbe russe : C’est en fonctionnant qu’on devient fonctionnaire. C’est en militant qu’on devient militaire et c’est en résistant qu’on finit ver de terre
Un curé athée philosophe
et révolutionnaire au 17ème siècle !
Voici un délicieux petit livre qui nous rapproche du fameux Curé d’Étrépigny,
un petit village des Ardennes de 400 paroissiens, près de Charleville, qui n’est certes pas le plus beau village de France, mais toutefois considéré comme : “le berceau de l’athéisme de France” grâce à son valeureux curé …
Intrigant n’est-ce-pas ce bizarre personnage glorieusement inconnu au bataillon des hommes célèbres du … 17ème siècle !
Eh oui le bonhomme est bien né le 15 juin 1664 au cœur des Ardennes. A quelques kilomètres du village d’Étrépigny où il mourra à l’âge de 65 ans après avoir officié pendant quarante années dans sa paroisse. Pas mal non ?
Mais comment croire qu’un petit curé de Champagne si longtemps enraciné dans sa cure campagnarde soit désormais considéré comme un «prophète de la révolution » (A. Soboul 1971) ou comme un «communiste athée de presbytère» (J.P. Deschepper 1971) en raison de son testament rédigé en secret et resté soigneusement oublié ?
Curé Janus ?
Est-il possible d’avoir une telle double vie ? Ce qui nous ébahit aujourd’hui !
Comment faisait-il pour officier le jour et, la nuit, laisser cours à son athéisme radical, son anticléricalisme militant ? Et finalement laisser à la postérité un Mémoire, et quel mémoire : Un monstre de plus de milles pages manuscrites à la plume d’oie (…) une bombe philosophique d’après notre grand philosophe contemporain : Michel Onfray dans sa Contre-Histoire de la philosophie parue en 2008.
Donc un vrai et grand mystère qui passionne toujours plus chercheurs et curieux de l’histoire des idées…!
Bien entendu ni vous ni moi n’imaginons aujourd’hui pouvoir «brûler sur un bûcher» si on s’affiche athée, mais du temps de Jean Meslier l’affaire était brûlante si j’ose dire. Un athée a bien été brûlé à Reims dans son archevêché à cette période, et plus tard en 1766 le Chevalier de la Barre a été supplicié et brûlé pour bien moins que cela précise Serge Deruette professeur d’Histoire des idées en Belgique dans la préface de La bonne parole du Curé MESLIER.
En fait le monologue théâtral de J.F. Jacobs propose une mise en scène en 3 actes (12 scènes) lors de sa création au Théâtre-Poème de Bruxelles en mars 2016, et d’autre part sa préface par Serge Deruette donne un condensé habile du copieux Mémoire du curé dont la lecture est longuette il faut bien l’avouer.
Révolutionnaire avant 1789 et 1917 ?
La saga du fameux Mémoire est aussi incroyable et savoureuse que celle de son auteur si longtemps méconnu. En effet il a failli disparaître totalement de la circulation. Trois des quatre manuscrits conservés à la BNF ont d’abord voyagé clandestinement avant d’être authentifiés.
On doit d’abord à Voltaire la connaissance d’un abrégé du mémoire en 1762, qui l’ampute carrément et le trahit en écartant prudemment les passages montrant la pensée matérialiste et athée du curé d’Étrépigny, le présentant même comme un déiste suppliant Dieu ! Eh oui Voltaire s’est mouillé avec l’affaire du Chevalier de la Barre, mais il y a parfois des limites…
La saga du mémoire
Le Mémoire disparaît alors pendant un siècle (!) et réapparaît grâce à un hollandais dans une édition complète en 1864. Nouvelle éclipse du Mémoire avant sa traduction intégrale en russe en 1924 qui est à l’origine, tenez-vous bien car vous ne voudrez pas me croire : de l’inscription de Meslier en 1919, par les bolcheviques, en 7ème place sur L’obélisque des penseurs socialistes à Moscou dans le jardin Alexandrovski… !
Ah si DADA ou les surréaliste avaient été tenus informés à cette époque ! Vous imaginez les poèmes fulgurants à la gloire du singulier curé !
Pendant ce temps là en France, il faudra attendre l’ouvrage capital de Maurice Dommanget, en 1965, au titre évocateur : Le curé Meslier, athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV
et préfacé par Marc Blondel libre-penseur.
J’ai lu l’ouvrage en bibliothèque, passionnant mais trop copieux. Le Mémoire est désormais disponible en ligne (merci internet).
Un cureton qui ne manque pas de sel !
Avouons la grande séduction qu’exerce ce petit curé de campagne qui, à plus de trois siècles d’écart, fait ressentir dans son Mémoire par ses mots et sa plume d’oie le poids formidable, terrible, écrasant, de l’absolutisme politique et religieux de son temps.
Son testament qui rime avec bombe à retardement vient donc éclater jusqu’à nous. Et presque tout le monde de nos jours y trouve un improbable ancêtre de nos espoirs socio-politiques plus ou moins en berne.
Pour certains le curé n’y va pas avec le dos de la cuillère en écrivant : Que tous les Grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus avec les boyaux des prêtres ! une formule hardie qui inspirera des candidats à la politique du 20ème ou 21ème siècle !
D’autres voient encore dans le Curé Meslier un des fondateurs de la modernité radicale, tandis que d’aucuns ne voient qu’un utopiste traditionnel qui relève du communisme agraire et de l’égalitarisme paysan. Soit plus un prophète de la révolution qu’un pur révolutionnaire (A. Soboul 1971).
De nos jours, le PCF des Ardennes présente à la «Fête de l’Huma» une exposition sur le curé communiste et révolutionnaire, et dans «Le Monde Libertaire» beaucoup trouvent que des curés comme Meslier, “ça mérite le détour“.
Ou bien : “Le radicalisme de Meslier annonce avec pas mal de longueurs d’avance les discours anarchistes sur la liberté, la propriété, l’action révolutionnaire… et l’internationalisme. «Unissez-vous donc, peuples !», lance Meslier d’outre-tombe. Venant d’un cureton, ça ne manque pas de sel ”.
Jean Meslier curé qui défend ses ouailles contre le hobereau local ? Révolté ? Indigné ? Athée utopiste ? Penseur socialiste ? Communiste ? Révolutionnaire ? Prophète ?
Lequel préférez-vous ?
Avant de vous décider allez rendre visite à son village, et empruntez en 2017 lors de son 353ème anniversaire, le «Chemin du curé Meslier» qui relie Étrepigny à Balaives : 5 kilomètres entre sources et collines boisées…
Vous ne serez pas loin de Boulzicourt où est né le poète du «Grand Jeu» René Daumal, et vous pourrez même apercevoir le petit village de Boutancourt où passe la «Route Rimbaud Verlaine».
Je vous le dis : Étrépigny, berceau de l’athéisme et de la poésie… !