Archives de catégorie : Boulic Jean-Pierre

Jean-Pierre Boulic

Jean-Pierre Boulic, poète vivant en Bretagne, a publié de nombreux recueils.


S’EN ALLER

C’est une pauvre sente
De glaise et passereaux
Où le ciel vient dresser
Un bouquet de nuages
Les genêts éclaboussent
De toute leur lumière
Et mon désir se creuse
La terre est si légère
Je ne sais où j’en suis
J’ignore le chemin
Je pense qu’on le trace
Au fur et à mesure
Vers toi tu veux que j’aille
Parole inaperçue
Je crois que tu façonnes
À la brise légère
Un secret que tu donnes
En langage d’amour
Ce que tu fais de moi
Allant je ne sais où.

Jean-Pierre Boulic: ANDRÉ HENRY (1918-2005)

Quand je veux croire encore à la beauté du monde.
(in Vingt-cinq photographies)

Né le 5 août 1918 à Melun, d’une mère originaire de Seine-et-Marne mais bien vite disparue et d’un père champenois, boulanger de profession, qui se remaria, André Henry vécut son enfance entre Paris où exerçait le père et ses grands-parents maternels résidant à Vaux-le-Pénil qui a marqué sa mémoire et sa poésie.

Ses études l’auront conduit de l’Ecole Normale de Melun à la Sorbonne. Il mènera une carrière universitaire en tant qu’agrégé de philosophie, enseignant notamment au lycée d’Auxerre jusqu’à la retraite en 1978. Marié, père de cinq enfants, il affichera toujours, même aux heures de grande souffrance, qu’il a formé un couple heureux avec Jeanne. Celle-ci est décédée en 1991. André Henry s’éteint le 29 novembre 2005 dans la plus grande discrétion. Ils reposent à Monéteau dans le cimetière du village.

Outre sa belle carrière d’enseignant, André Henry a exercé avec dynamisme de nombreuses activités syndicales et sociales. Son accompagnement de la maladie mentale qui le touchait de très près avec un de ses fils (et dont son œuvre poétique est empreinte)l’a entraîné à réfléchir aux problèmes posés par les psychoses et à promouvoir la création d’établissements dédiés aux soins de ces malades.

Poète dont les ouvrages de facture classique à la prosodie maîtrisée ont été souvent distingués, André Henry a laissé une œuvre marquée d’un sang noir qui suit celui des morts sous les photographies (Paroles pour ceux de l’autre nuit) mais où bruisse l’espérance d’une foi nue en une Rencontre capitale :

      Mes enfants, mes amis,
      Quand elle me prendra ne pleurez pas ma mort,
      Ce ne sera ma mort que par ici
      Je crois bien que j’irai vers la grande lumière,
      Ayant beaucoup aimé.
                                       (Cette incroyable foi)

Si l’on pense que le poème est une mèche de vie – selon la belle expression de Jean Mambrino – alors la poésie de André Henry ne peut demeurer ni dans l’oubli ni au purgatoire.

Très loin de la boursouflure des vaniteux présidant aux destinées d’un monde qui empile indifférence, mépris, crises, dénis et peurs et que véhicule l’insolente turbulence du tapage médiatique, la voix discrète, cette petite musique au regard lumineux du poète de Monéteau, est ancrée dans la meilleure tradition de la poésie de langue française, celle qui se soucie de l’homme et du sens de son existence dans la Création :

      Vous les avez connus, notre temps, notre espace
      Nous étions sur le pont, le fleuve étincelait,
      Vous les avez perdus, ces maîtres mots de passe,
      Mais qu’en avons-nous fait pour vous croire exilés
                    (Paroles pour ceux de l’autre nuit)

L’homme a vécu sans artifices, gardant au cœur un désir de vie vraie et bonne, en aimant. La seule et unique loi procède de l’amour, rappelait Charles Le Quintrec en préfaçant en 1982 Les murs originels où André Henry magnifie sa tendresse à l’endroit de ce petit venu dont « on ne sait quelle Mongolie » :

      … Il est venu vers moi, je l’ai pris dans mes bras,             
      Je partage avec lui le rire et le soleil.

Vers ses talentueux amis des beaux « Cahiers de Laudes », à Lyon, il allait avec une ferveur sans tristesse, ce chemin de nos vivants désormais invisibles pour évoquer Philippe Chabaneix, Luc Bérimont, Pierre Emmanuel, Michel Manoll, Robert Lucien Geeraert…

Il cheminait aussi avec les poètes à l’occasion de notes de lecture ciselée, tout en avouant bien humblement, dans un article daté du mois d’avril 1998, qu’il n’est rien de plus difficile que de juger un poème, sauf à ce qu’il réussisse à saisir et à enfermer un instant mystérieux et insolite de la vie du monde et permette de réaliser cette espèce de transfiguration du langage qui caractérise la grande poésie.

Quêteur de l’authentique – Et dans l’étroite allée, il allumait les roses/Qu’il venait d’inventer– il n’a pas hésité à dénoncer les impasses où s’engluait la poésie, parce qu’elle avait oublié qu’elle devait être aussi, avec les moyens qui lui sont propres, l’expression de la présence unique du poète au monde, qui est inséparable de sa présence à lui-même (Les trois impasses de la poésie de notre temps – Laudes n° 96).

Charles Le Quintrec remarquait avec stupéfaction que seules « quelques dizaines, quelques centaines de personnes l’ont reconnu aux yeux de son âme pour le mettre au plus haut. À sa vraie place ». Il faut dire que l’œuvre de André Henry est de la lignée des Péguy, Bergson, Marie Noël, Simone Weil, Raïssa Maritain, René Guy Cadou, Patrice de La Tour du Pin, Jean-Claude Renard ou Pierre Emmanuel, ses sœurs et frères en littérature.

JP.B octobre 2015

      Nous qui avons aimé la terre
      Autant qu’il est possible de l’aimer,
      Resterions-nous ici
      Perpétuellement,
      Même comblés par le soleil et par les hommes ?
                     (Cette incroyable foi)