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Léo Verle

Léo Verle facteur d’images, mâche-laurier à ses heures, compagnon de Poésimage, participe à la métronomie des revues. Les collages en lucarnes du peuple des images.

Textes à paraître chez Gros Texte dans le livre intitulé : Après j’irai chanter


L’Horloge fauve

Il est des matins où fleurit la rose du partir, mais le temps travail diffère l’heure du départ. Alors on jette l’encre des premiers kilomètres en l’écrit des premières lignes. De ce voyage imaginaire, l’appel vers l’Est pour revenir au quai de Seine, après de multiples traversés des méridiens, ici un extrait :

…Quitter la vieille Europe
Valises cuir de pacotille ballotées,
Sacs denier noir en bandoulière
Aux mélopées des éclisses
Regards confondus d’un partir
Vers l’autre monde, flèche du levant
Ourlé de romances tziganes,
De violons d’érable blessés,
D’accordéons diatoniques
Enrôlant les siècles, klezmer mélodie.
Un monde Chagall, par-dessus les toits.
Fils télégraphiques se jouant de la modernité
Les villages dans un mirage d’Arachné.
Savante mosaïque brique et bois
Défilé à l’anonymat des fenêtres roulantes.
Bohême, deviner les vestiges
Les miettes d’empire aux châteaux
La ville aux mille tours et mille clochers
Ruelle d’or, l’adresse de Franz,
Homme déraciné, métamorphosique.
En son journal : ‘Toute littérature est assaut contre la frontière’.
Celle franchie aujourd’hui s’énonce barbelés
L’esprit des plaines défie le labyrinthe
Étrange traversée, le nom des villes au secret
Noms bleu prusse à l’émail blanc.
Les gares engloutissent les rames
Les nuées d’enfants palpitent aux portes
Beignets et vins chauds cannelle
Gri-gri de laine, objets de bois sculptés
Guirlande de voix à chaque halte
Les pièces tintent, les portières claquent
Les messages d’une langue à l’autre
Les conseils du voyage, numéro de quai.
En rase campagne, labours à fleur de terre
Aux poinçons des clairières
Le temps a gommé les ignobles miradors,
Les féroces cheminées de brique,
Honteux totems désarticulés, mis à bas.
Le film remémore les déchirures,
L’envers décor des verdures crues
Celluloïd diurne, blafards brouillards.
Au-delà des lignes, des baraquements secs
Du craquement rauque des palissades,
Des fils métal tresseurs d’épines,
L’empreinte des camps, le temps prison
Le présent fissure l’empreinte mercure.
Eperviers, hiboux confinent les futaies.
Les forêts résinent les souffles oubliés.
Ce train de compagnie ignore l’histoire.
La ville Mère annoncée
990 gares à saisir d’un déclic de mémoire
La parole, porte close.
Énumération vaine du voyageur
Tout a été dit, tant et tant de fois
Les façades rouges, les clochers de meringue
Les neufs gares,
Beloroussky, Kazansky, Kievsky, Koursky,Léningradsky, Paveletsky, Rijsky, Savelovsky, Iaroslavsky
Les gratte-ciels blanchâtres demi-siècle
Les bris de glace au lit d’hiver
L’ogresse rouge rêvasse de l’étreinte Volga
Jalouse légendes & ambres de St Petersburg
Se console millionnaire au musée Pouchkine.
Les chapkas fleurissent déjà
Deux mois à peine avant les grands frimas
L’horloge gronde au ventre de l’est
Le rail serpent hypnotise le soir.
Marche pied en cascade
Bagages déployés à la lueur des wagons.
Parcourir d’un regard les feuillets froissés
Un journal murmurumeur
D’une déjà lointaine Europe atlantique
Aux colonnes l’Homo économicus
Faits et méfaits divers,
Le sang neuf vient de l’invisible matière
Traquée en cercle magnétique
Bague d’aimants aux fusions
Lapins lumière vainqueurs
Des formules tortueuses au tableau,
Tohu-bohu boson de Higgs
Crevant les écrans du hasard.
Ici le temps du voyage semble immobile…