Archives de catégorie : Paris Gérard

Notes de lecture par Gérard Paris

Tatiana Daniliyants Blanc

-38p- Édition Alidades, 2015.

« Quelqu’un nous aime, qui vit au-dessus de la charpente »

Entre le blanc qui ensorcelle, qui transperce et la lumière véhiculée dans la mémoire par les pigeons, Tatiana Daniliyants décline le temps (le temps lisse sa toile, le temps coagule, dompter le temps) et déclenche une chaîne de métamorphoses (les mots.le jour.la mort ; le chemin.la pierre.la chair ; le sable.la vague.le feu) Le poète nous guide au travers de la toile d’araignée des rapports humains (et des mots) dans un voyage entre l’infime (le carillon, les mottes gelées, le pain ) et l’intime ( l’amour, le moi, la mort). Mais pour Tatiana Daniliyants, il faut, au travers de la substance musicale du temps, se laisser envahir par la lumière, le silence, la beauté :

« ne rien vouloir / Simplement évoquer »

Dans ce recueil traduit du russe (et postfacé) par Irène Imart, nous sommes placés constamment en lisière (frontières des saisons, frontière du moi, de l’amour…) dans l’étoffe blanche des désirs :

« L’arc-en-ciel se déploie / Là où se brisent les cœurs / Faits de verre »

Notes de lecture par Gérard Paris

France Burghelle Rey Le Chant de l’enfance

-58p- Édition Du Cygne, 2015. « Je voyage dans un Temps / Qui ne m’appartient plus »

Pour France Burghelle Rey il s’agit de mettre en concordance (ou au diapason) la houle du temps avec le chant issu de la mémoire et de l’enfance. D’entrée le poète nous fixe un cadre la Bourgogne (un petit village près d’Avallon) avec autour tout ce qui peut rappeler l’enfance (ce navire d’innocence) : les lieux magiques (Combourg, Vallademosa), la proximité des peintres (Mondrian, Turner, Chagall) et des musiciens (Mozart). Plonger dans les limbes de l’enfance, c’est s’efforcer de retrouver le jumeau perdu (la fillette) :

«  ô ma mémoire ma renaissance
Laudes de ma vie meurtrie laudes de l’avenir
J’écris guéri sous la dictée d’un ange »

Tout en bridant un lyrisme contenu, le poète renaît par des éclats de mots, de feux, de voix et alors ressurgissent les odeurs de terre mouillée ou de roses trémières, le rappel des cahiers d’écolier et de robes de fillettes, les cris des rémouleurs et des marchands de peaux de lapins. Mais le passé s’effrite face à un présent, à un chant hanté par l’avenir. En dernier recours vont nous rester les mots (comme des astres ou des galets) et la neige, cette patrie neutre. France Burghelle Rey part à la recherche d’un autre pays (nimbé de lumière, ourlé de silence et de rêve), avec une autre langue au souffle immense.

Notes de lecture par Gérard Paris

Alexandre Pouchkine, Le cavalier de bronze

Édition Alidades

D’un effroi intérieur / Ni bête, ni être humain / Ni vivant de ce monde
Ni fantôme d’au-delà

Postfacé par Emmanuel Malherbet, ce recueil s’inscrit dans la petite bibliothèque russe des éditions Alidades. Basé sur un fait divers authenti-que (le compte-rendu d’inondations), ce récit se situe entre rêve et réalité entre songerie et cauchemar. Evguéni, jeune fonctionnaire, vit au bord de la Néva à proximité de la Suède et de la Finlande. Oscillant du récit épique au récit légendaire, passant volontiers du personnel à l’impersonnel (LUI),ce récit s’apparente à un conte et est rythmé par une anaphore : Lui, sur son coursier de bronze submergé par les inondations, Evguéni perd sa fiancée et devient fou ou plutôt halluciné. Mais ce récit rapidement dépasse le réel et emprunte les lisières du fantastique :
Ou notre vie entière n’est-elle donc rien Que songe creux ?
Impuissant, face à la puissance légendaire du coursier de bronze incarnant le mal, Evguéni va périr noyé. La question reste posée : que peut faire l’humain face à la vengeance des Dieux et face à son Destin ?

Notes de lecture par Gérard Paris

Vincent Calvet, Continuum amoureux

Éditions Raphael de Surtis

Son regard / Révélant / Le texte-océan / Les grèves voilées de brume
Les îles / Dimensions multiples de l’espace irrévêlé

Co-directeur de la revue « Mange-Monde »,Vincent Calvet nous propose un recueil divisé en trois parties : La femme-océan, Blasons, Continuum amoureux et qui s’appuie sur des citations de grands aînés (Guillevic, Breton, Michaux).Si par certains aspects et dans certains passages le poème s’apparente à une litanie, à une oraison, on peut noter une démarche complexe : d’une part la relation entre l’amant et l’aimée basée sur la sensualité, sur l’intimité ; d’autre part le lien indéfectible entre la complexité du monde et l’état amoureux avec comme seul recours l’écriture pour se désenchevêtrer de l’amour. Mais ce recueil où les « blasons » célèbrent chaque partie intime du corps, est aussi un hymne à la beauté du monde autant qu’à la beauté féminine : la mer et le ciel prennent une place essentielle et constituent des métaphores et des comparaisons avec le corps de l’aimée :

Le corps est un monde / L’univers y est contenu / La beauté s’y révèle et tremble / Elle est une grande forêt

Dans ce recueil où fleurissent les poèmes amoureux, Vincent Calvet maintient un certain rythme, une certaine tension, qui trahit la transe amoureuse autant que l’état contemplatif ; un beau recueil qui révèle de belles gemmes d’amour.

Notes de lecture par Gérard Paris

Vincent Calvet, Sigila n°28, Gris-France

21 rue Saint-Médard 75005 Paris

Dirigée par Florence Lévi, cette revue transdisciplinaire centre sa recherche sur le secret s’appuyant sur des collaborateurs français et portugais. Parmi toutes ces architectures secrètes, Bernard Sesé explore le château intérieur de Thérèse d’Avila : « L’architecture de l’âme dit du « palais de l’oraison » qu’il se construit « sans travail de l’art ». Pour Bernard Sesé le château de l’âme est une superbe représentation imaginaire de ce qui est au-delà du langage. Bernard Sesé évalue le beau travail de Thérèse d’Avila avec son architec-ture symbolique, faisant le lien entre le réel et l’espace spirituel. Philippe Porret, lui, approfondit le travail d’Antonio Gaudi avec la « Sagrada Familia » :

C’est une émanation, une création entre l’esprit de la Méditerranée et le souffle du peuple. Leur synergie est cette esthétique, son architecture secrète, cette combinaison de lumière et de naïveté engagée.

Florence Evrard et Isabelle Gazard plongent dans les perspectives données par la peinture de Viera da Silva. Plusieurs images illustrent l’article sur André Bruyère. Comme des échos à ces explorations des architectures secrètes résonnent les poèmes mêlant Marceline Desbordes Valmore, Gérard de Nerval avec Mario Quintana et Carlos Drummond Andrade. Abordant des domaines aussi variés que l’architecture, l’inconscient, la peinture, cette revue touche aussi bien la philosophie et la poésie.

Notes de lecture par Gérard Paris

Romain Verger, Grande Ourse

Editions Quidam

Venu d’un ailleurs paléolithique, Arcas, seul survivant de son clan , isolé parmi les glaces, se nourrit rapidement en suçant le bois et la pierre. Alors commence une errance blanche qui le conduira à la découverte des cadavres des membres de son clan puis à la fornication avec l’Ourse. Arcas traverse, au-delà de ce coït, le temps gelé.
Comme en écho, le récit de Mâchefer, employé à la Galerie d’anatomie du Jardin des Plantes : il garde le corps fossile ; il partage un pavillon avec une vieille folle Ana et a des relations amorales avec Mia qui accouche d’un garçon et l’abandonne là (et Mâchefer n’en est pas le père). Mâchefer, de par son alimentation très faible, finit par s’identifier aux fossiles qu’il garde.
Arcas et Mâchefer n’ont-ils pas en commun d’avoir conservé la mémoire des peurs ancestrales ?
Le poème de la création circulait en lui, en un flux continu de noms tirés par un puissant chariot. Et à chaque nom proféré, à chaque signe de la main, c’était un être qui brisait son armature de fer.

Notes de lecture par Gérard Paris

Pierre Garnier, Adolescence

Éditions des Vanneaux, 64 rue de la vallée de Crème, 60480 Montreuil-sur-Breche

Comme André Hardellet (rappelons-nous Lourdes, lentes), Pierre Garnier est un amoureux de la femme dont il décrit l’anatomie intime avec beaucoup de pertinence.
Rattaché à la mer (et ses mouvements de houle) mais aussi à la terre (où l’on s’enfonce) les sexe de la femme tantôt coquillage, tantôt étoile de la Nativité, tantôt icône rouge, est examiné à la loupe et célébré comme le seul lieu de l’origine : origine du plaisir sexuel et de l’enfantement. Si Pierre Garnier évoque à la fois Madame de Pompadour ou Phèdre en gage de féminité, il y ajoute aussi un élément de sacré, la Vierge Marie.
Voyant et voyeur, Pierre Garnier marie tendresse et érotisme ; et en dernier lieu, il réussit à unir sexe et poème :
Alors tu ouvres les jambes
laisses mes doigts te pénétrer
te caresser profondément là
où commence le poème

Notes de lecture par Gérard Paris

Paul Sanda, Tribute to Patricia Barber

Editions Trident Neuf, 17 rue Saint Bernard, 31000 Toulouse

Patricia Barber cède de la beauté à la pénombre, la pénombre à l’acuité.
Ecrit en français et en anglais, illustré par des gouaches de Claude Bellegarde, ce recueil de Paul Sanda est postfacé par Marc Petit. Paul Sanda, dans ce texte parfois assez énigmatique, fonctionne par trilogies : d’abord la distance, la lumière (ou la pénombre), les objets (et leur densité) puis la chair, la note et le mot.
S’appuyant sur les sonorités de Miles, Parker, et surtout Thélionus Monk, Paul Sanda dresse l’éloge de l’univers musical et sensuel de Patricia Barber : Patricia Barber est à deux pas du désir, de l’écume, du savoir qui se décide.
Si la lumière disloque, diffracte la distance, la perception de la pénombre plonge dans la dérive, dans la volupté : Je caresse le point profond où meurent les notes, les chairs, les liquides dirigés vers l’épaisseur de l’objet. Je sais que je ne rêve pas la mort, ni la note.
Mais au-delà des perceptions de distance, de lumière, l’important n’est-il pas ce qui vient de soi, le fragmentaire, l’improvisé ?
Entre prière et chant, Paul Sanda nous emmène en lisière de la beauté, en proximité de Patricia Barber.

Notes de lecture par Gérard Paris

Jacques Ancet, La ligne de crête

Tertium éditions, Quercypôle, 46100 Cambes près Figeac

D’abord ce sont les perpétuelles métamorphoses de la montagne : front bombé, fissures, fractures de la pierre, houle obscure des forêts. S’appuyant sur les deux points d’aimantations constitués par Cézanne (et la montagne Sainte Victoire) et, en filigrane, par Daumal (et le Mont Analogue), Jacques Ancet entreprend son voyage face à la montagne, symbole de désir : Qu’est-ce qu’un paysage sinon cet échange. Cette pénétration du dedans par le dehors et l’inverse.
Déchiré entre la quête d’un sens évanescent et la fusion de l’homme avec la montagne, Jacques Ancet varie les perspectives dans l’espace et le temps et expérimente au fil des pages (au fil des pierres) la dépossession de l’espace, du temps et de soi-même : le lieu ne serait-il le lieu que par cet accent improbable qui en est le centre mouvant, insaisissable.