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Les femmes dans la Grande Guerre en Seine-et-Marne : une étape sur les chemins de l’égalité ?

Chantal ANTIER Docteure en Histoire internationale, Thèse : Un département dans la Grande Guerre, la Seine-et-Marne sous la direction de M.G.Pedroncini, Sorbonne, Paris I, Mention T.B. Bibliographie : La Grande Guerre en Seine-et-Marne. Presses du Village1998 Les soldats des colonies dans la Première guerre mondiale Editions Ouest-France 2006 (réédité en 2015) Les espionnes de la grande Guerre (en collaboration) Ouest-France 2008 14-18 La Guerre au quotidien (en collaboration) le Cherche-Midi 2008 Les Femmes dans la grande Guerre, Soteca (Belin) 2011 Louise de la Grande de Bettignies, espionne et héroïne Guerre, Tallandier avril 2013, Prix des Ecrivains Combattants 2014.
Trois femmes de Seine-et-Marne pendant la Grande Guerre

Les témoignages sur les femmes dans la Grande Guerre émergent depuis quelques années, rappelant leur importance, non plus entièrement dévouées aux côtés de leurs maris, comme en temps de paix, mais prenant une nouvelle place dans la société à cause de la guerre. Elles ne se sont pas seulement limitées à subir passivement le sort de quatre années d’épreuves, d’attentes et souvent de deuils : soutiens de l’Etat, soutiens des soldats, de leurs propres familles, les femmes de tous âges et de toutes classes sociales ont œuvré pour tenir aux côtés de ceux qui défendaient le territoire et pour maintenir la société en état de marche avec un patriotisme soutenu par la censure et la propagande.
Elles ont accepté ces rôles nouveaux, difficiles, encore jugés comme masculins mais indispensables à un pays où tous les hommes jeunes sont au front. Le féminisme à la veille de 1914 en est à ses débuts, malgré l’influence des suffragettes américaines et anglaises. Il se transformera pour beaucoup en pacifisme et grèves surtout à partir de 1917, ‘’l’année -trouble’’ : l’espoir de la victoire s’éloigne pour les Français et Françaises démoralisés par l’abandon de leurs alliés russes et l’arrivée tardive des Américains.
Après l’Armistice, les médailles surtout remises aux infirmières, les diplômes, les représentations de femmes éplorées sur les monuments aux Morts, seront-ils les seuls signes de reconnaissance de l’Etat après 1919, pour celles qui, bien souvent au péril de leurs vies, ont tenté de maintenir familles et société en temps de guerre ? Les avancées politiques ne seront obtenues par les Françaises qu’après la Seconde Guerre. Au contraire des femmes des pays alliés ou ennemis.

Ces thématiques sont abordées par l'exposition proposée à l'Astrolabe de Melun, sous la direction scientifique de Madame Chantal ANTIER, docteure en histoire, et la Délégation Départementale aux Droits des Femmes et à l'égalité de Seine-et-Marne. Elle sera ensuite présentée gratuitement dans chaque arrondissement de Seine-et-Marne sur demande, en s’adressant à SOPHIE RATIEUVILLE 01 64 41 58 51/ 06 83 38 67 61 et selon un calendrier consultable

Trois femmes de Seine-et-Marne pendant la Grande Guerre

(textes d’archives)


Julie BOUGREAU

Au lieu de partir en exode à la bataille de la Marne en septembre 1914, Julie Bougréau, institutrice a, au péril de sa vie, caché des soldats français.
Au lieu de partir en exode à la bataille de la Marne en septembre 1914, Julie Bougréau, institutrice a, au péril de sa vie, caché des soldats français.

Marie-Louise de PRAT habitant Fontainebleau, ayant passé un diplôme d’infirmière à la veille de la guerre et faisant partie de la SBM Société des Blessés Militaires.

Directrice de l’Hôpital militaire de Montereau en septembre 1914, devenu hôpital d’évacuation, installé dans la Faïencerie à la Bataille de la Marne :
“les voilà enfin les blessés, lambeaux d’uniforme sur des lambeaux d’hommes, épaves d’âmes où tout ce qui reste de vie s’est concentré dans les yeux, dont les regards éperdus sont devenus ceux d’un enfant “
Henri Lavedan, préface à l’Almanach de la S.B.M en 1914

La fin de la bataille de la Marne et la retraite allemande entraînent l’envoi des blessés au sud du département. Le médecin militaire Warneke, chef de l’Hôpital militaire du château de Fontainebleau demande à madame de Prat de prendre en charge l’Hôpital militaire des Héronnière, comme infirmière major. L’Ecole d’Artillerie est vidée de ses artilleurs partis au front, la place est libre pour y installer des soldats malades suite à la guerre,
typhus, tuberculose, épilepsie, maladies mentales et en 1918 grippe espagnole. Cinq infirmières y sont affectées sous les ordres de madame de Prat jusqu’à la fin de la guerre.

EXTRAITS de ses MEMOIRES


Marie « Julienne » JONOT née POIBLANC

En juillet 1913, Louis Alexandre JONOT et sa femme Marie-Julienne reprennent la laiterie de Trois-Moulins, près de Melun, créé vers 1889 par la famille Mollereau, puis tenue successivement par Henri de Monfreid et Paul Leclère. Son activité consiste à ramasser, deux fois par jour le matin dès 4H00 et en fin d’après-midi, le lait des fermes du nord-est de Melun et à le distribuer dans Melun. Une partie est transformée sur place en beurre, crème fraîche, fromage frais, petits-suisses… Le service est assuré par Louis, aidé de sa femme, et par deux ou trois employés. Le travail s’effectue 7 jours sur 7, 365 jours par an. Seule pause le dimanche après-midi, occupée à faire les comptes.
En août 1914, Louis Alexandre JONOT est mobilisé, malgré ses 41 ans, ses trois enfants, et son activité.
A Trois-Moulins, il a fallu s’organiser. Les employés sont mobilisés ou quittent l’entreprise, un frère aîné de Louis vient donner un coup de main, mais décèdera malheureusement peu de temps après. La guerre est toute proche, on entend les grondements de canons de la bataille de la Marne, on craint l’arrivée des allemands.
Début octobre, le régiment de Louis part rejoindre le front de la Somme. Louis tient son journal sur une simple feuille de papier. Le 27 novembre 1914, il est atteint par une balle, à Maricourt (Somme) et décèdera avant d’arriver à l’hôpital de Sézanne.
A 40 ans, pas d’autre choix pour Marie-Julienne, aidée de sa fille aînée Louise, d’Henriette et René, de continuer l’activité de la laiterie. Louise s’occupera des tournées à l’âge de 14 ans, se levant dès 4H00 du matin pour donner à manger aux chevaux, avant de partir sur les routes de campagne. Deux ou trois ouvriers complètent la main d’œuvre.
Marie Julienne recevra un diplôme d’honneur, délivré par le Conseil Général de Seine-et-Marne le 14 juillet 1919. Dans les années 1950, Marie Julienne sera Conseillère municipale à Rubelles.

René VIVIANI (1863-1925)

René Viviani est à la fois un avocat, journaliste, parlementaire, orateur talentueux qui devient un homme politique aux cotés d’Aristide Briand et de George Clemenceau. Six fois ministre avant d’être propulsé Premier Ministre du Travail avec la création du Ministère du Travail en 1906 et Président du Conseil en 1914. C’est lui qui déclare solennellement la Mobilisation générale le 2 août 1914, puis l’Appel aux femmes françaises.

Militant généreux, René Viviani est cofondateur du journal l’Humanité, y tient des tribunes régulières, défend les travailleurs, les syndicalistes et les journalistes. Artisan de grandes lois sociales comme la loi sur le repos hebdomadaire et la loi sur les retraites ouvrières.

René Viviani tombe dans l’oubli après la guerre et prend sa retraite en Seine-et-Marne à Seine-Port où il sera enterré en 1925 dans un mausolée conçu par l’architecte Guillaume Tronchet, architecte-en-chef des bâtiments et palais nationaux qui édifiera le Ministère du Travail en 1929. Le mausolée de Seine-Port restauré a été inauguré le 11 novembre 2014.

Mausolée VIVIANI - Cimetière de Seine-Port - 11 novembre 2014
Mausolée VIVIANI – Cimetière de Seine-Port – 11 novembre 2014

Quelques jours après la mobilisation générale “Jour de l’Union sacrée”, René Viviani s’adresse aux Femmes Françaises par un discours flam-boyant qui constitue l’appel du 7 août affiché partout en France dès le lendemain.

Il milite aussi pour la cause féministe : secrétaire général de la Ligue Française pour le droit des Femmes dès 1889, plaide pour les droits civils et politiques de la femme : accès des femmes au barreau, éligibilité aux conseils de prud’hommes, limiter le travail de nuit des femmes et enfants, libre disposition pour la femme mariée de son salaire, créer un congé maternité…

République Française
Aux femmes françaises

La guerre a été déclarée par l’Allemagne malgré les efforts de la France, de la Russie, de l’Angleterre pour maintenir la paix.

A l’appel de la patrie, vos pères, vos fils et vos maris se sont levés et demain ils auront relevé le défi.

Le départ pour l’armée de tous ceux qui peuvent porter les armes laisse les travaux des champs interrompus : la moisson est inachevée, le temps des vendanges est proche.

Au nom du Gouvernement de la République, au nom de la nation toute entière groupée derrière lui, je fais appel de votre vaillance, à celle des enfants que leur âge seul, et non leur courage dérobe au combat.

(…) Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés. Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime : tout est grand qui sert le Pays.

Debout à l’action, au labeur ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde.
Vive la république ! Vive la France !
Paris le 8 août 1914.

Pour le Gouvernement de la République Le Président du Conseil des Ministres René Viviani