Quand je veux croire encore à la beauté du monde.
(in Vingt-cinq photographies)
Né
le 5 août 1918 à Melun, d’une mère originaire de Seine-et-Marne
mais bien vite disparue et d’un père champenois, boulanger de
profession, qui se remaria, André Henry vécut son enfance entre
Paris où exerçait le père et ses grands-parents maternels résidant
à Vaux-le-Pénil qui a marqué sa mémoire et sa poésie.
Ses
études l’auront conduit de l’Ecole Normale de Melun à la
Sorbonne. Il mènera une carrière universitaire en tant qu’agrégé
de philosophie, enseignant notamment au lycée d’Auxerre jusqu’à
la retraite en 1978. Marié, père de cinq enfants, il affichera
toujours, même aux heures de grande souffrance, qu’il a formé un
couple heureux avec Jeanne. Celle-ci est décédée en 1991. André
Henry s’éteint le 29 novembre 2005 dans la plus grande discrétion.
Ils reposent à Monéteau dans le cimetière du village.
Outre
sa belle carrière d’enseignant, André Henry a exercé avec
dynamisme de nombreuses activités syndicales et sociales. Son
accompagnement de la maladie mentale qui le touchait de très près
avec un de ses fils (et dont son œuvre poétique est empreinte)l’a entraîné à
réfléchir aux problèmes posés par les psychoses et à promouvoir
la création d’établissements dédiés aux soins de ces malades.
Poète
dont les ouvrages de facture classique à la prosodie maîtrisée ont
été souvent distingués, André Henry a laissé une œuvre marquée
d’un sang noir qui suit
celui des morts sous les photographies (Paroles
pour ceux de l’autre nuit) mais où bruisse l’espérance d’une
foi nue en une Rencontre capitale :
Mes enfants, mes amis,
Quand elle me prendra ne pleurez pas ma mort,
Ce ne sera ma mort que par ici
Je crois bien que j’irai vers la grande lumière,
Ayant beaucoup aimé.
(Cette incroyable foi)
Si
l’on pense que le poème est une mèche de vie – selon la belle
expression de Jean Mambrino – alors la poésie de André Henry ne
peut demeurer ni dans l’oubli ni au purgatoire.
Très
loin de la boursouflure des vaniteux présidant aux destinées d’un
monde qui empile indifférence, mépris, crises, dénis et peurs et
que véhicule l’insolente turbulence du tapage médiatique, la voix
discrète, cette petite musique au regard lumineux du poète de
Monéteau, est ancrée dans la meilleure tradition de la poésie de
langue française, celle qui se soucie de l’homme et du sens de son
existence dans la Création :
Vous les avez connus, notre temps, notre espace
Nous étions sur le pont, le fleuve étincelait,
Vous les avez perdus, ces maîtres mots de passe,
Mais qu’en avons-nous fait pour vous croire exilés
(Paroles pour ceux de l’autre nuit)
L’homme
a vécu sans artifices, gardant au cœur un désir de vie vraie et
bonne, en aimant. La seule et unique loi procède de l’amour,
rappelait Charles Le Quintrec en préfaçant en 1982 Les
murs originels où
André Henry magnifie sa tendresse à l’endroit de ce petit
venu dont « on ne sait quelle Mongolie » :
… Il est venu vers moi, je l’ai pris dans mes bras,
Je partage avec lui le rire et le soleil.
Vers
ses talentueux amis des beaux « Cahiers de Laudes », à
Lyon, il allait avec
une ferveur sans tristesse, ce chemin de nos vivants désormais
invisibles pour
évoquer Philippe Chabaneix, Luc Bérimont, Pierre Emmanuel, Michel
Manoll, Robert Lucien Geeraert…
Il
cheminait aussi avec les poètes à l’occasion de notes de lecture
ciselée, tout en avouant bien humblement, dans un article daté du
mois d’avril 1998, qu’il n’est rien de plus difficile que de
juger un poème, sauf à ce qu’il réussisse à
saisir et à enfermer un instant mystérieux et insolite de la vie du
monde et permette
de réaliser cette
espèce de transfiguration du langage qui caractérise la grande
poésie.
Quêteur
de l’authentique – Et
dans l’étroite allée, il allumait les roses/Qu’il venait
d’inventer– il
n’a pas hésité à dénoncer les impasses où s’engluait la
poésie, parce qu’elle avait oublié qu’elle
devait être aussi, avec les moyens qui lui sont propres,
l’expression de la présence unique du poète au monde, qui est
inséparable de sa présence à lui-même (Les
trois impasses de la poésie de notre temps – Laudes n° 96).
Charles
Le Quintrec remarquait avec stupéfaction que seules « quelques
dizaines, quelques centaines de personnes l’ont reconnu aux yeux de
son âme pour le mettre au plus haut. À sa vraie place ». Il
faut dire que l’œuvre de André Henry est de la lignée des Péguy,
Bergson, Marie Noël, Simone Weil, Raïssa Maritain, René Guy Cadou,
Patrice de La Tour du Pin, Jean-Claude Renard ou Pierre Emmanuel, ses
sœurs et frères en littérature.
JP.B octobre 2015
Nous qui avons aimé la terre
Autant qu’il est possible de l’aimer,
Resterions-nous ici
Perpétuellement,
Même comblés par le soleil et par les hommes ?
(Cette incroyable foi)