HOMES (Fin)
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Je ne me souviens pas de mes toutes premières écoles, sauf d’un fulgurant coup de règle en fer sur le bout des doigts pour un S oublié
et
en Bretagne, laissée là par mes parents, j’allais un mois dans la classe unique du village, section mouettes.
École communale de Carry-le-Rouet, les garçons dans la cour et faire la vaisselle après la cantine.
École Alphonse Daudet, je reçois un caillou sur la tête et je m’évanouis.
Lycée Buffon, je vais à pied car je me suis fait agresser dans le métro.
Collège Arc-de-Meyran, rien, personne, j’ai des boutons.
Collège Jas-de-Bouffan, Gertrude me crie par une fenêtre de sa classe qu’elle a eu ses règles. Plus tard, je suis renvoyée.
Collège Rocher-du-Dragon, mon ami est noir et habite dans une caravane.
Un an de cours par correspondance.
Collège du Sacré-Cœur, mon prof d’histoire-géo me plaît. Après mon bac, nous avons une aventure.
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sentier des champs, il y a une salle de jeux. C’est au bout du couloir 1er étage. La pièce fait exactement la même surface que la salle à manger dessous. On y met une table de ping-pong, j’y déballe mes légos, une vieille télé avec console (ancêtre). Les joueurs sont des traits et la balle un carré. On se démène quand même. A côté, il y a la pièce noire. Je n’y vais jamais. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans. Le mieux est de garder la porte fermée.
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mon amie Gertrude part vivre à Paris, je quitte la rue Aumône-Vieille et m’en vais rue Joseph-Ravaisou, où nos parents ont loué deux appartements pour la durée des travaux : un pour nous les trois sœurs et un pour les adultes. Au lieu de militer nous allons en boîte, la Grignothèque, gratuite pour les filles. Ils ne sont pas contents. Au milieu de la nuit nos talons claquent dans l’escalier.
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Je fouille. Dans toutes les maisons, je fouille. Trouve des trucs que je ne devrais pas. Sauf nourrisson square de Lorient je ne fouille pas. Engoncé dans ma barbotteuse, je ne fais pas du 4 pattes dans les placards. Je cherche quoi pourquoi ? Les cachettes sont diverses, parfois savamment élaborées. J’espionne, j’écoute. Le bureau ou la chambre, les tiroirs. Tout remettre exactement comme c’était. Le garage, les cartons du fond. Je fouine. L’explorateur ou l’agent secret. Je trouve des magazines. Faire coulisser la planchette où sommeille le trésor. J’ai du temps. Là, des diapos. Pas gêné quand même le garçonnet. Une fois, je suis pris en flagrant délit. Mais, comme toujours, ma mère se tait.
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1 Rue Chabrier.
Je collectionne les amoureux.
Une copine habite l’appartement en dessous : avec un système de cordages nous nous faisons passer des choses par les fenêtres. Je lui prête ma belle table en bois mais elle oublie une bougie dessus, et ma table brûle. Il n’y a pas de salle-de-bain, je me lave dans l’évier de la cuisine. Je travaille dans une clinique, on me vole ma mob : je fais du stop au petit jour. Nous n’avons pas le téléphone, pas la télé. Je laisse un mot d’amour sur ma sonnette à un Bertrand, et c’est un autre Bertrand qui le lit. Le midi, je déjeune avec ma grand-mère qui habite en face, 3 rue Méjanes. La vie est assez amusante, surtout avec le pastis.
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Liste des amoureuses que j’invite chez mes parents :
Jane, une Anglaise correspondante. Photo de nous deux assis sur mon lit. Je suis en short tee-shirt bleus. Elle polo lilas et blue-jean retroussé. En fait, ma vraie correspondante, on dit correspondante, ou corres’, ma corres’, celle qui dort chez moi, chez mes parents, sentier de la mare des champs, est laide. Grande avec des dents.
En revanche, celle de Sandrine, amie collégienne, est jolie Jane. Je suis donc tout le temps fourré chez Sandrine pour voir Jane dont je tombe amoureux. J’oublie ma corres’, jusqu’à son prénom, je la refourgue à d’autres. Quand Jane retourne en Angleterre, je pleure longtemps derrière le bus. Je ne l’ai jamais revue.
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Mes chambres 1 : Paris, la Celle-Saint-Cloud, Carry, je partage de petites chambres avec mes sœurs. À la Kérié, je ne sais plus. À Paris, j’ai ma première chambre en tant qu’aînée, j’écoute Pink Floyd toute la nuit. Mont-Robert est un château, je change souvent d’endroit. Au Pey-Blanc, j’ai une mezzanine. À Saint-Mitre, il y a des araignées sur le mur et des serpents sous le lit. Dans les appartements d’Aix, j’ai ma chambre, elle est parfois dans le salon. Paris, première vie de couple, la chambre contient à peine le matelas posé par terre. Rue Saint-Maur, je fabrique une étagère au-dessus du lit et elle tombe sur nous pendant la nuit, avec les livres.
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Comme je l’attrape maladroitement par le cou, je manque de l’étrangler. Jane écrasée contre ma clavicule d’ado chevelu. J’ai par ailleurs une étrange croix autour du cou. Quant à elle, on voit sa braguette et le pull marine habilement noué sur ses épaules. C’est dans ma chambre du haut. J’ai mon lit d’enfant et un couvre-lit vert écossais. Le papier peint n’a pas encore été posé, c’est du placo brut. Avec du recul, je dois confesser que, sur ce cliché, elle n’a pas le regard brillant. Mais elle glisse gentiment sa petite main sur mon flanc droit. La chose ne serait pas aussi aisée aujourd’hui. J’aimais sa coupe ondulée et l’épaisseur de ses lèvres. On pouvait bien s’embrasser. Reste la question : qui était dans ma chambre ce jour-là pour nous photographier ?