L’enfer est pavé de bonnes intentions
S’il est une locution particulièrement riche, tant pour sa beauté poétique que sa portée philosophique, c’est bien celle-là. Particulièrement longue, aussi, puisqu’on en oublie toujours une partie. En effet, ce n’est pas l’enfer qui est pavé de bonnes intentions, mais le chemin de l’enfer…Et cela change pas mal de choses, à commencer par la place du sujet – le chemin – dans la phrase, ce qui ramène l’enfer au rôle d’un complément de nom. Bon, me direz-vous, ce n’est pas le problème. Nous, les arpenteurs, on aimerait plutôt savoir le nombre de pavés nécessaires pour recouvrir le sol de l’enfer ou, tout au moins, celui du chemin qui y mène. Et pourquoi pas savoir s’il y a une plage sous ces pavés, pendant que vous y êtes ! Au risque de vous décevoir, messieurs les entrepreneurs en travaux publics, j’ose vous dire qu’il n’y a pas de pavé ici. Dante lui-même, cet expert incontesté en mondes surnaturels, n’en met pas au début du chemin qui ouvre son exploration inquiète. Au début de sa Divine Comédie (l’Enfer, chant premier), il nous parle d’une « forêt sombre où le droit chemin se perd », ou encore « d’un sentier sauvage et périlleux », mais de pavés point. Il faut croire que nous nous sommes égarés en suivant cette piste. Mieux vaut peut-être, dans ce cas, se tourner vers le dernier élément de cette proposition : les bonnes intentions. Car la question est bien de comprendre comment des velléités qui devraient logiquement nous faire entrevoir les portes du paradis peuvent nous entrainer bien plus bas, sur des sentiers que je ne recommande à personne. Cela revient à dire que le bien ne serait pas à coup sûr le bien, que le mal pourrait être tapi derrière.
Et le mal, lui aussi, peut produire un effet bénéfique que personne n’avait soupçonné lorsqu’il s’est abattu sur vous. « A quelque chose malheur est bon ». Dit un autre proverbe populaire (nous le gardons pour une prochaine fois). Misère du relativisme moral et des abîmes de perplexité qu’il nous révèle ! Tout ne serait donc qu’affaire de point de vue ? Car, à vrai dire, ne recherchons-nous pas toujours le bien dans toutes nos entreprises, petites ou grandes ? A ceci près que c’est NOTRE bien et qu’il peut signifier le mal absolu pour d’autres. Hitler planifiant la solution finale pour les Juifs d’Europe : une certaine idée du bien. Tout comme les sicaires de Daesh mettent en pratique la leur, lorsqu’ils massacrent et décapitent à tour de bras ceux qui n’adhèrent pas à leur vision de l’Islam. D’accord, ce sont là des exemples extrêmes. Mais ils n’en éclairent que mieux la foultitude des petites indélicatesses perpétrées quotidiennement. « Mon fils fait des claquettes le soir, au dessus de votre apparte-ment. Et alors ! Il faut bien que les jeunes s’expriment et se forment. A votre âge, vous devriez comprendre ça. ». Etcetera, etcetera…Oui, le monde n’est qu’une obscure toile tissée par d’interminables conflits d’intérêts, à quelque niveau que ce soit. Mais ses pires acteurs sont, sans nul doute, ceux qui font passer leurs désirs personnels pour l’intérêt général. Nous en connaissons tous autour de nous. C’est à eux que s’adresse prioritairement cette petite chronique.