Le goût des mots (n°2) de Jacques LUCCHESI

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes

Une locution parmi les plus imagées qui soient. Pour peu qu’on l’entende sur le coup de midi, avec l’estomac dans les talons, on peut s’abandonner délicieusement à son sens littéral. Avec elle, c’est un monde calme et rustique qui ressurgit à l’esprit. Voici la cheminée, le feu qui crépite dans l’âtre et au-dessus, dans un grand pot luisant et cabossé, une soupe riche et onctueuse qui chauffe. Autour, des enfants jouent, piaillent et s’impatientent :

« Maman, quand est-ce qu’on mange ? »
« Un peu de patience, mes pioupious. La soupe est bientôt prête. »

Et ce disant, la mère tourne et retourne l’épais bouillon avec une grande louche jusqu’à ce qu’il soit à point.

Car, en ces temps anciens, on ne changeait pas de vaisselle toutes les années. On misait sur la durée et les objets quotidiens, issus de l’artisanat local, devaient faire la preuve de leur robustesse. Misère de notre société consumériste, où tout est programmé pour un épuisement (et donc un renouvellement) rapide ! Où ce qui résiste durablement à l’usage – sèche-cheveux, broyeur de légumes ou cocotte-minute – fait figure d’exception. Mais peut-être qu’un tel monde, chaud, solide et douillet, n’a jamais existé dans nos campagnes ? Il faut se garder de prendre pour argent comptant nos images d’Epinal.

Changeons à présent de contexte social et imaginons deux locuteurs – un jeune homme bien balancé et une dame sur le retour d’âge mais encore sûre de ses atours – qui se rencontrent dans une réception municipale. Il est environ 20 heures mais aucun d’eux n’a vraiment faim car ils n’ont qu’à tendre la main pour gober des tapas et des petits-fours : la mairie, pour une fois, n’a pas lésiné sur le buffet. Ils prennent un verre de vin puis une coupe de champagne. Les voilà vite lancés dans une discussion de salon, faites de lieux communs, de politesses et d’insinuations. Las ! Le beau jeune homme est du genre réservé, peu enflammé par les charmes de son interlocutrice. En bonne « cougar », celle-ci affiche pourtant un décolleté généreux, une jupe moulante et des talons aiguilles qui en stimuleraient plus d’un. Mais ce soir son gibier lui résiste et, au fond d’elle-même, elle en est affectée. Comme elle ne s’avoue pas facilement vaincue, elle se rapproche de lui au point de frôler son torse avec ses seins et, les yeux dans les yeux, lui demande :

« Vous avez dîné ? Si nous allions au restaurant ? Je commence à avoir faim. »
« C’est que j’ai promis à ma mère de ne pas rentrer tard… »
« Oh, le pauvre chéri ! Il n’a même pas la permission de minuit. »
« Une autre fois, si vous voulez. »
« Peut-être ? conclut-elle en s’éloignant de lui. Vous savez, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. »

Il y a des métaphores que les femmes filent mieux que leurs bas, même à l’heure du repas. Et des soupes biologiques qui valent bien que l’on oublie momentanément son estomac. Ainsi se dégage la vision d’un monde où ce sont les femmes qui sont activement demandeuses de sexe face à des hommes indécis ou ravalés au rang d’objets. A ce jeu-là, contrairement à la petite démonstration qui précède, les vieilles cuisinières font rarement chou blanc. Encore faut-il que leurs conquêtes masculines pensent que l’expérience croît avec l’âge ou qu’elle en est son antidote.

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