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Notes de lecture par Colette Millet

Jean Bensimon Corbelle

Éditions Ovadia 16 €

Il est l’auteur de 14 recueils de poésie et de nouvelles.

Lu avec entrain l’été dernier, ce beau roman hivernal paru en 2014 s’est révélé pleinement à ma relecture cet hiver dans la lenteur de cette saison. André, un jeune parisien s’installant en province pour y travailler, enquête sur les raisons de sa rupture avec Estelle et s’essaie à l’étude du langage des corbeaux nombreux dans cette région. Le talent de Jean Bensimon pour mettre en scène et en mots l’étrangeté de cette expérience, semble être celui de se laisser guider par les perceptions de son anti-héros évoquant ainsi Estelle, telle une apparition : « Soudain, le ciel s’ouvre de part en part avec un crissement d’étoffe qui se fend. A travers la déchirure jaillit une lumière dorée qui ruisselle et inonde tout, au point de me faire cligner des yeux. Apparaît la silhouette d’une jeune femme étendue, les bras au-dessus de la tête dans le prolongement du corps. Elle flotte, aérienne, harmonieusement proportionnée. Quand l’écharpe de brume qui voile en partie son visage se dissipe, je n’ai plus aucun doute, c’est elle : les ondes qu’elle émet se répandent dans mon crâne. Elle est la lumière. »
Commence pour André une traversée du temps en noir et blanc, le cœur partagé entre l’effroi du cauchemar de ses nuits et celui des paysages de neige d’un hiver rigoureux. « L’hiver me fixe de ses prunelles glacées. »
Le roman joue d’un contraste permanent entre sombres ruminations et évocation de souvenirs heureux. Pour dénouer les évènements de son histoire, André procède par étapes comme on progresse dans un chemin épaissi de poudreuse, difficilement, « l’immense océan blanc » isolant le narrateur malgré ses conversations avec les habitants. C’est qu’André veut « traverser les apparences. Accéder à l’invisible – la vérité, ou plutôt ma vérité. Je songe au corbeau de la mythologie irlandaise symbolisant l’homme qui entreprend de vivre sur le plan spirituel. » D’où sa recherche sur le langage des grands corbeaux, métaphore d’une quête intérieure qui le menace peu à peu dans son intégrité : « Irais-je jusqu’à me défaire, morceau après morceau – me désagréger ? ».
Suivre le parcours d’André nous réserve la possibilité d’une sorte de passage poétique du vide trop blanc de l’absence amoureuse au plein noir corbeau.

Colette Millet