Archives de catégorie : Guéant Jean-Jacques
L’heure de la lecture N°3
L’heure de la Lecture est une émission littéraire enregistrée en public
une fois par trimestre à la Médiathèque de Melun : L’Astrolabe.
Son organisateur et animateur Denis Malanda en assure la réalisation
en faisant alterner présentations d’auteurs, écrivains ou éditeurs avec
des lectures de comédiens.
L’heure de la Lecture N°3 a été enregistrée le 17 juin 2017 avec la participation
de la revue La Grappe et du romancier Guy Alexandre Sounda.
L’Affaire Chapron 1975
Annonce de Bleau en Poésie 2018
L’ARDEUR 21ème Printemps des Poètes
Bleau en Poésie 2017
Rencontre et lectures
Bienvenue à Bleau en Poésie 2017 !
À toutes et à tous…
Bienvenue à Bleau en Poésie !
Et tout de suite nos félicitations, oui nos félicitations les plus sincères pour avoir atteint, sans vous perdre, amis présents, amis fidèles cette clairière tenue secrète jusqu’au denier moment… !
Encore bravo pour votre courage, votre ténacité, votre bravitude ! En effet si vous êtes là parmi nous, c’est que ce RdV vous importe, vous transporte et oui jusqu’à nous pour ce 13ème rendez-vous à Bleau !
Et nous, pauvres, simples, très simples instigateurs de cette rencontre nous sommes là devant vous – nus et sans défense – perpétuant désormais avec vous ce rituel annuel
pour :
– Partager nos émotions printanières !
– Ouvrir ensemble la canopée de la poésie !…
avec :
– Ces blocs de grès pour témoins
– Ces sentiers de sable étincelant
– Ces landes de bruyère frémissante
… et le vent frais du matin qui souffle au sommet des grands pins !
Toutefois il ne faut pas croire que cette secrète clairière symbolise un rendez-vous de secte suspecte … Non ! notre rendez-vous n’est pas élitiste !
Non ! Bleau en Poésie n’est pas réservé aux versificateurs qui passent à vue du 8b+
pas plus d’ailleurs qu’aux rimailleurs du dimanche…
Affirmons le haut et fort car… il plane « grave » dans les réseaux sociaux un doute persistant, une ombre malfaisante :
Choisir le 22 avril la veille d’une élection présidentielle n’est-ce pas booster l’abstention ? Nourrir l’indifférence ? « Désespérer » Billancourt en quelque sorte ?
Et plus encore en proposant les Afriques pour thème n’est-ce pas ourdir une provocation funeste?
Et bien non ! Nous avons fait le pari que seule la poésie peut nous rassembler, reconnecter notre espèce en pièces… reboiser l’âme humaine …
nous mobiliser encore et toujours, avec la voix, les mots, les sons, les corps…
Oui nous voulons clamer nos poèmes !
Oui nous voulons nous joindre aux palabres Africaines !
Pour ce 13ème rendez-vous à Bleau en Poésie
Rien n’est trop Bleau, nous voulons dire rien n’est trop Beau ! Oui trop Beau !
Soyons dignes de nos ancêtres et de leurs gravures rupestres
Randonneurs, arpenteurs, grimpeurs, escaladeurs : tous unis ! Oui unis !
Et soyons dignes de nos rêves… !
Je déclare la séance ouverte !!!
Lecture à la médiathèque du Mée-sur-Seine
Petites nouvelles du front qui plisse mais ne rompt pas
Andreï Balandine, graphiste, peintre, né en 1968 à Ekaterinbourg dans l’Oural en Russie, a suivi les cours de l’école supérieure des Beaux Arts, a présenté différentes expositions en Russie, notamment à Moscou.
Invité en France en 1991 dans le cadre du Festival du Verbe et de la Création au Mée-sur-Seine (77350), il a rencontré Théophile. Ils ont commis à deux un livre : Petites nouvelles du front qui plisse mais ne rompt pas (textes de Théophile, dessins d’Andreï Balandine).Cette œuvre sera éditée par le CRAC.
Théophile, (né en RDA pendant la deuxième guerre mondiale, sa mère ukrainienne était internée par les allemands dans un camp de travail russe où elle a rencontré son père réfugié espagnol déporté par les français), était considéré comme le chansonnier freak de l’amer et du marginalisme. Il avait obtenu le prix de l’humour noir.
Petites nouvelles du front qui plisse mais ne rompt pas, CRAC éditeur – Centre de Recherche Culturelle et Artistique – 4 Seauve, 23700 Arfeuille Châtain. Chèque de 20 € à l’ordre du CRAC.
Proverbe russe : C’est en fonctionnant qu’on devient fonctionnaire. C’est en militant qu’on devient militaire et c’est en résistant qu’on finit ver de terre
La bonne parole du Curé MESLIER
Un curé athée philosophe
et révolutionnaire au 17ème siècle !
Voici un délicieux petit livre qui nous rapproche du fameux Curé d’Étrépigny,
un petit village des Ardennes de 400 paroissiens, près de Charleville, qui n’est certes pas le plus beau village de France, mais toutefois considéré comme : “le berceau de l’athéisme de France” grâce à son valeureux curé …
Intrigant n’est-ce-pas ce bizarre personnage glorieusement inconnu au bataillon des hommes célèbres du … 17ème siècle !
Eh oui le bonhomme est bien né le 15 juin 1664 au cœur des Ardennes. A quelques kilomètres du village d’Étrépigny où il mourra à l’âge de 65 ans après avoir officié pendant quarante années dans sa paroisse. Pas mal non ?
Mais comment croire qu’un petit curé de Champagne si longtemps enraciné dans sa cure campagnarde soit désormais considéré comme un « prophète de la révolution » (A. Soboul 1971) ou comme un « communiste athée de presbytère » (J.P. Deschepper 1971) en raison de son testament rédigé en secret et resté soigneusement oublié ?
Curé Janus ?
Est-il possible d’avoir une telle double vie ? Ce qui nous ébahit aujourd’hui !
Comment faisait-il pour officier le jour et, la nuit, laisser cours à son athéisme radical, son anticléricalisme militant ? Et finalement laisser à la postérité un Mémoire, et quel mémoire :
Un monstre de plus de milles pages manuscrites à la plume d’oie (…) une bombe philosophique d’après notre grand philosophe contemporain : Michel Onfray dans sa Contre-Histoire de la philosophie parue en 2008.
Donc un vrai et grand mystère qui passionne toujours plus chercheurs et curieux de l’histoire des idées…!
Bien entendu ni vous ni moi n’imaginons aujourd’hui pouvoir « brûler sur un bûcher » si on s’affiche athée, mais du temps de Jean Meslier l’affaire était brûlante si j’ose dire. Un athée a bien été brûlé à Reims dans son archevêché à cette période, et plus tard en 1766 le Chevalier de la Barre a été supplicié et brûlé pour bien moins que cela précise Serge Deruette professeur d’Histoire des idées en Belgique dans la préface de La bonne parole du Curé MESLIER.
En fait le monologue théâtral de J.F. Jacobs propose une mise en scène en 3 actes (12 scènes) lors de sa création au Théâtre-Poème de Bruxelles en mars 2016, et d’autre part sa préface par Serge Deruette donne un condensé habile du copieux Mémoire du curé dont la lecture est longuette il faut bien l’avouer.
Révolutionnaire avant 1789 et 1917 ?
La saga du fameux Mémoire est aussi incroyable et savoureuse que celle de son auteur si longtemps méconnu. En effet il a failli disparaître totalement de la circulation. Trois des quatre manuscrits conservés à la BNF ont d’abord voyagé clandestinement avant d’être authentifiés.
On doit d’abord à Voltaire la connaissance d’un abrégé du mémoire en 1762, qui l’ampute carrément et le trahit en écartant prudemment les passages montrant la pensée matérialiste et athée du curé d’Étrépigny, le présentant même comme un déiste suppliant Dieu ! Eh oui Voltaire s’est mouillé avec l’affaire du Chevalier de la Barre, mais il y a parfois des limites…
La saga du mémoire
Le Mémoire disparaît alors pendant un siècle (!) et réapparaît grâce à un hollandais dans une édition complète en 1864. Nouvelle éclipse du Mémoire avant sa traduction intégrale en russe en 1924 qui est à l’origine, tenez-vous bien car vous ne voudrez pas me croire : de l’inscription de Meslier en 1919, par les bolcheviques, en 7ème place sur L’obélisque des penseurs socialistes à Moscou dans le jardin Alexandrovski… !
Ah si DADA ou les surréaliste avaient été tenus informés à cette époque ! Vous imaginez les poèmes fulgurants à la gloire du singulier curé !
Pendant ce temps là en France, il faudra attendre l’ouvrage capital de Maurice Dommanget, en 1965, au titre évocateur :
Le curé Meslier, athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV
et préfacé par Marc Blondel libre-penseur.
J’ai lu l’ouvrage en bibliothèque, passionnant mais trop copieux. Le Mémoire est désormais disponible en ligne (merci internet).
Un cureton qui ne manque pas de sel !
Avouons la grande séduction qu’exerce ce petit curé de campagne qui, à plus de trois siècles d’écart, fait ressentir dans son Mémoire par ses mots et sa plume d’oie le poids formidable, terrible, écrasant, de l’absolutisme politique et religieux de son temps.
Son testament qui rime avec bombe à retardement vient donc éclater jusqu’à nous. Et presque tout le monde de nos jours y trouve un improbable ancêtre de nos espoirs socio-politiques plus ou moins en berne.
Pour certains le curé n’y va pas avec le dos de la cuillère en écrivant :
Que tous les Grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus avec les boyaux des prêtres ! une formule hardie qui inspirera des candidats à la politique du 20ème ou 21ème siècle !
D’autres voient encore dans le Curé Meslier un des fondateurs de la modernité radicale, tandis que d’aucuns ne voient qu’un utopiste traditionnel qui relève du communisme agraire et de l’égalitarisme paysan. Soit plus un prophète de la révolution qu’un pur révolutionnaire (A. Soboul 1971).
De nos jours, le PCF des Ardennes présente à la « Fête de l’Huma » une exposition sur le curé communiste et révolutionnaire, et dans « Le Monde Libertaire » beaucoup trouvent que des curés comme Meslier, “ ça mérite le détour “.
Ou bien : “Le radicalisme de Meslier annonce avec pas mal de longueurs d’avance les discours anarchistes sur la liberté, la propriété, l’action révolutionnaire… et l’internationalisme. «Unissez-vous donc, peuples !», lance Meslier d’outre-tombe. Venant d’un cureton, ça ne manque pas de sel ”.
Jean Meslier curé qui défend ses ouailles contre le hobereau local ? Révolté ? Indigné ? Athée utopiste ? Penseur socialiste ? Communiste ? Révolutionnaire ? Prophète ?
Lequel préférez-vous ?
Avant de vous décider allez rendre visite à son village, et empruntez en 2017 lors de son 353ème anniversaire, le « Chemin du curé Meslier » qui relie Étrepigny à Balaives : 5 kilomètres entre sources et collines boisées…
Vous ne serez pas loin de Boulzicourt où est né le poète du « Grand Jeu» René Daumal, et vous pourrez même apercevoir le petit village de Boutancourt où passe la «Route Rimbaud Verlaine».
Je vous le dis : Étrépigny, berceau de l’athéisme et de la poésie… !
Lecture publique, vendredi 18 novembre
Vous êtes invités à 19H à venir assister à une lecture des textes et extraits de textes des dossiers : Partir, le goût.
Jean-Jacques Guéant, Colette Millet, Dominique Laronde, lecteurs de La Grappe seront heureux de partager ces textes avec la comédienne Léa JOURDAIN à l’ARCATURE la Bibliothèque Municipale de Vaux le Pénil (77) : 1, rue Charles Jean Brillard
Hommage à Yves Bonnefoy
Hommage à Yves Bonnefoy décédé le 1er Juillet 2016
Nous avions enregistré une lecture-rencontre d’Yves Bonnefoy
avec Marc Blanchet au printemps 2011 dans le jardin du Musée départemental Stéphane Mallarmé à Vulaines en Seine (77870).
Dans le jardin en fleurs du Musée Mallarmé une cinquantaine de personnes ont pris place sous un vélum blanc où les chaises numérotées s’alignent autour d’un petit podium. Cinquante curieux passionnés et attentifs. Il fait beau, la température est propice.
L’introduction de Marc Blanchet est amicale et documentée pour célébrer la rencontre d’Yves Bonnefoy – 88 ans – sur les lieux où vécut le Prince des Poètes il y a un peu plus d’un siècle.
La sono (très) défaillante, capricieuse, ajoutera une tension d’écoute aussi exigeante qu’imprévue, et le vent printanier fera le reste : la voix profonde, caverneuse d’Yves Bonnefoy s’élèvera et flottera, évanescente avec le parfum suave des roses alentours.
Marc Blanchet introduit l’après-midi en évoquant l’exposition en cours du musée : Femmes de Mallarmé, qui présente divers objets reliés aux figures féminines qui ont accompagné le poète : éventails, dessins, gravures…etc.
La suite est dans Lecture-rencontre avec Yves Bonnefoy
En hommage au poète Yves Bonnefoy, décédé le 1er juillet 2016, voici une lecture qu’il réalisa, en 2002, pour un disque édité par Gaster Oprod / ERE Prod.
Désigné par le poète comme un apologue, « Les planches courbes » est issu du recueil éponyme qu’il publia, en 2001, aux éditions du Mercure de France :
Liminaire
Écrire c’est bondir hors des rangs des assassins.
Journal de Franz Kafka, 27 Janvier 1922
La douceur de cet automne
Nous invitait à retenir les mots
Qui frissonnent sous les fougères
Et à donner rendez-vous aux terrasses des arbres
Qui se défeuillent.
Beyrouth, Paris, Bamako, Tunis, Jos,
Amères vendanges !
La stupeur usurpe notre raison
Nous laissant sans voix
– tentation du silence solidaire…
Mais nous avons juré d’écrire
De bondir hors du rang des meurtriers
De courir sur les brasiers du monde
Et publier les murmures du vent
Sur l’escarpe du temps …
PARTIR !
Notre dossier était alors en marche
Prêt au voyage, à toutes les partances
Avec ses poètes arracheurs de silence : Daniel, Jules, J.Jacques, J.Pierre, Atiq, Philippe, André, Céline, Sylvia, J.Christophe, Colette, Dominique, J.Michel, Léo, Patrice, Marie-Paule, Célia.
Une Grappe offrande pour clore une année sans pareille
Par-delà les frontières cruelles réelles imaginaires
Et le cycle des saisons fuyantes qui portent nos mémoires irréductibles.
Jean-Jacques GUÉANT
Jean-Jacques Guéant collaborateur de la revue.
AYLAN
POURQUOI PARTIR
À L’ÂGE DES POURQUOI ?
Tu es parti Aylan
A l’âge des pourquoi
Pourquoi alors venir poser la tête
Au bord d’une plage
Et dormir près des vagues ?
A tes parents
Qui te tenaient la main
Tu posais chaque matin
La question de tous les enfants du monde
À l’âge des pourquoi : pourquoi partir ?
Hier soir encore
Devant la barque si pleine
La nuit si noire
Tu as posé la question : pourquoi partir ?
Toi qui voulais dormir…
Et pourquoi ce matin
Es-tu là seul sur le sable endormi
Par vent calme
Dans la paume des vagues
Et le soleil qui s’indigne ?
Laisse-moi répondre Aylan
À ta question
Car j’ai l’âge de répondre aux questions
Sans réponse
Que posent les enfants à leurs parents
Je veux t’envelopper Aylan
De mes réponses
Comme on borde d’amour un enfant
Le soir avant de dormir
A l’heure où les rêves s’avancent
Je veux te parler Aylan
Comme à un enfant à l’âge des pourquoi
Qui ouvre les yeux
Sur le monde sans pourquoi
Et referme les yeux
Laisse-moi m’incliner
Murmurer à ton oreille froide
Aylan
Les belles histoires
Que tous les pères que toutes les mères
Inventent depuis des millénaires.
Hommage à C.F. DENECOURT
Claude-François Denecourt
Explorateur de la forêt de Fontainebleau
1855 – 2015
Vous avez tous marché dans la forêt de Fontainebleau, temple de la nature, un jour de printemps. Entre les piliers de ses arbres, entre ses blocs de grès échoués sur une mer de sable fossile et des flots de bruyère.
Comme 12 millions de visiteurs annuels vous avez foulé quelques uns des sentiers dits “ Denecourt ” balisés en bleu, pour vous guider ou peut-être vous perdre délicieusement dans cette forêt de symboles…
Savez-vous que vous devez votre incursion dans le règne de la beauté à la passion d’un homme autodidacte ? Qui a tracé à partir de 1840 un labyrinthe de cent cinquante kilomètres de chemins pour l’itinérance, votre enchantement ou pourquoi pas l’éveil intérieur, approcher la pulsation des grandes sources naturelles ?
Vous êtes invités à découvrir avec Jean-Claude Polton pour guide : Le Banquet chez Bonvalet. Invités à participer comme il y a 160 ans déjà, à vous glisser anonymement parmi les célèbres convives qui vont festoyer, applaudir, chanter… et s’enivrer quelque peu pour oublier la chape autoritaire du second empire.
Auriez-vous imaginé une seconde, en ce mois de juin 2015, pouvoir ainsi côtoyer Théophile Gauthier, Henri Murger, Nadar ou Gustave Courbet ? Admirer le geste de ce dernier consacrant solennellement C.F. Denecourt “Sylvain de la forêt de Fontainebleau ” en lui posant une couronne de feuilles de chênes sur le front à l’appui des 42 auteurs de l’Hommage ! Sans oublier la lettre de soutien à lui remise avec 1500 signataires, dont Jules Michelet, excusez du peu … !
Laissons à Denecourt le dernier mot, et quel mot !
Croyez-moi, lecteur, la forêt de Fontainebleau, ce jardin comme Dieu seul sait en planter, est elle-même, à propos de poésie, le plus beau, le plus intéressant de tous les livres…
Oui, venez à Fontainebleau visiter son magnifique palais, ses sites variés, mais surtout ses délicieux points de vue d’où les regards charmés planent alternativement sur mille perspectives dont les beautés ont inspiré tant d’artistes, tant de poètes, amants passionnés de la féconde et merveilleuse nature »
C.F. Denecourt
« Ces longues promenades, ces jours entiers au grand air sont toujours de mon goût, et cette profonde solitude, ce solennel silence à quelques heures de Paris sont inappréciables »
George Sand
Jean-Claude POLTON, professeur agrégé d’histoire-géographie à Fontainebleau pendant plus de trente ans, doctorat en histoire (1985) pour une thèse publiée au CTHS : Tourisme et nature au XIXe siècle, guides et itinéraires de la forêt de Fontainebleau, vers 1820 vers 1880. Conférencier en ville et en forêt, il a publié plusieurs ouvrages et des articles en rapport avec l’histoire culturelle et touristique de Fontainebleau. Il est secrétaire général de l’Association des Amis de la forêt de Fontainebleau.
Clin d’œil à la revue Rétro-Viseur
Tout passe, rien ne disparaît…(1)
À l’automne 2009, la revue Rétro-Viseur a disparu…
Chaque fois qu’une revue disparaît c’est un peu pour moi un arbre qui meurt, une brutale trouée dans la forêt des mots dressés vers la lumière.
On est saisi par la nouvelle. On était si habitués à cette publication saisonnière, ce retour attendu d’un panier empli d’émotions de découvertes qui entrent dans le rythme de nos jours de nos années.
Bien sûr on se dit que l’arbre mort, foudroyé ou sénescent, laisse sa place à une jeune pousse prometteuse. Mais est-ce si sûr ? Comment savoir si la régénération en marche sera créative ou réduite à un clone numérisé ?
Les revues passent, plus ou moins vite. Au compteur variable de leur numérotation on pressent leur possible déclin. Pour en avoir le cœur net j’ai récemment entrouvert à la BNF le mémorial des revues disparues. L’avis des récents décès surprend : des jeunes, des moins jeunes et des vénérables. La revue Trace par exemple enterrée en 2012 avec un bel hommage avait tout juste 50 ans ! Et Action Poétique 62 ans au même moment disparue dans un silence sidéral … Quand à la revue Sud, prenant la suite d’Autre Sud avait l’âge de 42 ans environ.
Avec ses 25 ans passés dans le Nord Rétro-Viseur était donc une jeune revue pleine d’espoir… Mais je crois que rien ne disparaît. Parce que les auteurs vivent toujours après leur passage dans une revue. Cela j’en suis certain. Mais où sont-ils ? De mystérieux imprévisibles liens d’amitié nous permettent de les saluer en fraternité. Rétro-Viseur n’échappe pas à cette intuition…
J.J. Guéant
Je rebondis sur le terme « amitié ». Si parfois les mots ont un sens caché, un double sens, voire un sens interdit, le mot amitié ne porte pas à confusion.
En arrivant par hasard entre les pages de Rétro-Viseur, je m’y suis tout de suite senti bien. Qui dit amitié dit fraternité. Et sans se connaître, j’ai pu et su illustrer les textes de Pierre Vaast et Jean-Jacques Nuel. Nous avons, nous allons faire connaissance pour de nouveaux partages. D’autres auteurs ont aimé emprunter les sentiers suivis par nos deux revues complices.
Camarades, on a hâte de reprendre la route du Nord en votre compagnie, poésie en bandoulière et fleur au fusil !
D. Laronde
(1)Titre d’un entretien de la revue Vacarme avec J.C. Bailly en 2010
Jean-Jacques GUEANT
collaborateur de la Revue depuis 1980 rend hommage à l’action bénévole des épiceries solidaires.
Épicerie sociale
Ouverte aux vents
aux saisons
au bout du quartier
l’accostable
épicerie sociale
tient bon
Pas de portail
pas Lampedusa
pas Ceuta
ou Melilla
tous ici des effacés
simples déradés
Sahel Maghreb
Zones Urbaines
pèle mêle
tous ici
vont
et viennent
Entre rayons épicés
pâtes ensachées
riz basmati
ou patates
douces
si douces
Enfants toucouleurs
aux yeux rieurs
impatients
de vivre
de picorer
au bord des allées
Et nous bénévoles
sans caddies
bénévoulant
vivre avec vous
la ronde sans faim
de la vie
Ensemble ce soir
nous gagnerons
qui sait
la voie lactée
pour nous sauver
pour abouter la Guilde des Egarés
Notes de lecture par Jean-Jacques Guéant
Yvon Le Men La langue fraternelle
185 pages – éditions Diabase 2013
Sous la forme d’un entretien voici le chemin « en poésie » du poète breton, né en 1953, et retracé dans ce livre avec simplicité, efficacité. Simplicité car lorsqu’on est le fils d’un cantonnier et d’une couturière, dans un hameau de cinq maisons, sans télévision, que l’on va à l’école à pied cinq kilomètres aller-retour – on vit réellement et tout simplement à l’écart du monde… La pauvreté, la sienne et celle de ses voisins, il connaît : Je ne me sentais pas pauvre… tout est relatif et les riches dans le fond m’étaient indifférents ; ils me le sont toujours.
Un monde clos sauvé par des parents aimants et l’école qui libère. Mais la mort du père qui survient constitue un tremblement de terre pour l’enfant de 12 ans. Beaucoup plus tard il se donnera des « pères », des maîtres, et pas n’importe lesquels : Guillevic, Xavier Grall, Jean Malrieu…
Après cinq années d’horrible internat, il fait la rencontre de la poésie avec les chansons de Léo Ferré. Il écoute, il reçoit, il s’imprègne. Et à dix-huit ans cherche son chemin à la fac, histoire-géo, et tout à coup coupe tous les ponts, cesse d’être pion pour vivre libre Pas de salaire, pas d’études, la poésie seulement.
C’est que peu de temps auparavant il a reçu un vrai coup de foudre. Il choisit de vivre en poésie après avoir été sur scène dire ses poèmes devant 300 ouvriers en grève, passant après Gilles Servat : un géant à la voix comme une rivière, la mienne était un ruisseau, j’ai dit cinq poèmes…
Dire mes poèmes et sentir l’écoute des hommes et des femmes m’a sauvé.
Libre donc, peu de sous, des camarades, une coopérative pour produire des disques, petits cachets, partage des bénéfices j’ai eu un peu le vertige avoue-t-il, mais la peur donne des ailes.
Le poète prend alors lentement son envol. Vivre quotidiennement en poésie est une rude expérience. Entre livres publiés et spectacles il lui faut durer, trouver des maisons à habiter et ne pas y avoir froid. Il lit sans cesse, se nourrit de poèmes. La voix lui ouvre le chemin de la poésie, il écoute avec ferveur Nazim Hikmet, ses poèmes lus par une amie, ou ceux de St Jean de La croix lus en espagnol.
Il va peu à peu tracer son chemin, parcourant avec ses récitals tous les villages de Bretagne, jusqu’à la véritable reconnaissance de son talent. Puis à la demande de Michel Le Bris il entre dans l’équipe des « Étonnants voyageurs » à St Malo, pour infiltrer la poésie au festival comme on infiltre un agent secret dans un pays étranger !
C’est à ce festival que je l’ai rencontré, que j’ai souvent apprécié son inlassable activité de passeur de poètes du monde entier, envers et contre tout, des grands et des moins grands comme il dit(1).
Tout au long de l’entretien de La langue fraternelle on est en compagnie du poète, vite complice de ses confidences, de ses aveux. Au fil des pages il nous livre ses convictions, parlant d’amour par exemple :
Une seule question importe, celle de l’amour. Amitié incluse.
Tu aimes une femme, un homme, un animal, un paysage,
le métier que tu fais. Aimer c’est le verbe des verbes.
Ou bien à propos de l’écriture et de la scène, de l’homme de scène qu’il est devenu, avouant qu’il a mis du temps pour apprendre que :
Ce qui est écrit, n’est pas ce qui est dit, les deux n’obéissent pas aux mêmes lois. Le secret c’est de pouvoir dire un texte qui tient à la fois à l’oral, c’est-à-dire dans l’oreille de celui qui t’écoute, dans sa mémoire immédiate, et à l’écrit, dans sa mémoire longue.
Il dévoile peu à peu la carte de ses rêves depuis que son père lui a dit avant de mourir : « Si tu as un rêve, suis le ». Ainsi les rêves sont pour lui des portes battantes. Vers quel monde ouvrent-elles ? Je ne sais pas. Il y a ce grand mystère de l’autre qui meurt et que tu continues à aimer…
Mais il y a le pouvoir de la poésie : La poésie du passé est présente. Tu réveilles un poème du passé en le lisant, en le disant. « – Quand a-t-il été écrit ? – Il y a quatre mille ans. – Ce n’est pas possible ! – Si. » Le problème du temps y est résolu, un instant, c’est « l’éternité retrouvée ».
Il révèle ses fréquentations poétiques, les nomme simplement puisqu’il s’est nourri à leur source, et n’hésite pas à désigner sa famille de cœur. Celle, loin des avant-gardes, qui dit quelque chose du monde malgré sa fureur, tente de retrouver une harmonie perdue, une mélodie ?
Le dernier des pauvres, celui qui est vaincu, celui dont le quotidien est à la dérive, a besoin de mélodie. Sa vie est tellement désaccordée…
Pour lui la poésie n’est pas que le travail sur la langue. Les recherches formelles de la poésie contemporaine lui font penser au laboratoire du CERN, comme si des poètes chercheurs y travaillant feraient exploser trois mots les uns contre les autres, un verbe contre un adjectif, pour voir ce que ça donne, pour créer des feux d’artifice…
Il questionne : comment écrire un poème après Baudelaire, Rimbaud, Verlaine ? Et pourquoi écrire de la poésie ?
Tu n’écris pas de la poésie pour gagner de l’argent, on le sait.
Donc si tu écris, c’est que c’est nécessaire, c’est ce qui te vérifie…
Se vérifier, être aux aguets, ne jamais désarmer, pour ne pas être sur la terre comme un bouchon sur l’eau…
Avec La langue fraternelle Y. Le Men nous donne une sacrée poignée de main, fraternelle, lui qui a lu des milliers de poèmes de toutes sortes où sont invités les vagabonds et les rois… lui qui affirme que nous ne marchons jamais que sur les pas des autres, qui a su faire cohabiter Mahmoud Darwhich et Claude Vigée dans son Tour du Monde en 80 poèmes – Flammarion 2009 – une magnifique anthologie pour rassembler des frères étranges en poésie. Le monde est si complexe qu’il ne peut pas s’étirer de Brest à Vladivostok sans limites. Il faut des sésames, des codes secrets, des passages, des sas pour traverser, pour assimiler sa différence, pour accéder à l’autre qui parfois est très loin. Même près.
Y. Le Men tente dans les dernières pages de se rassembler. Je fais le pari du poème, d’une langue, d’une parole par rapport à un discours écrit-il.
Et ajoute :
Un poème ne peut pas mentir, un poète peut mentir, pas un poème.
J.J.G.
(1)Debout devant le dernier festival de St Malo Y. Le Men a clamé son écœurement d’avoir été radié du régime des intermittents alors qu’il vit de ses écrits et spectacles depuis 40 ans, que Pôle-emploi lui réclame 30.000 euros de trop perçu ! Le poète a contre attaqué, saisi le tribunal de St Brieux, et publié un recueil au titre vengeur : En fin de droits, soutenu par une pétition et le collectif findedroitdequeldroit.fr.
René VIVIANI (1863-1925)
René Viviani est à la fois un avocat, journaliste, parlementaire, orateur talentueux qui devient un homme politique aux cotés d’Aristide Briand et de George Clemenceau. Six fois ministre avant d’être propulsé Premier Ministre du Travail avec la création du Ministère du Travail en 1906 et Président du Conseil en 1914. C’est lui qui déclare solennellement la Mobilisation générale le 2 août 1914, puis l’Appel aux femmes françaises.
Militant généreux, René Viviani est cofondateur du journal l’Humanité, y tient des tribunes régulières, défend les travailleurs, les syndicalistes et les journalistes. Artisan de grandes lois sociales comme la loi sur le repos hebdomadaire et la loi sur les retraites ouvrières.
René Viviani tombe dans l’oubli après la guerre et prend sa retraite en Seine-et-Marne à Seine-Port où il sera enterré en 1925 dans un mausolée conçu par l’architecte Guillaume Tronchet, architecte-en-chef des bâtiments et palais nationaux qui édifiera le Ministère du Travail en 1929. Le mausolée de Seine-Port restauré a été inauguré le 11 novembre 2014.
Quelques jours après la mobilisation générale “Jour de l’Union sacrée”, René Viviani s’adresse aux Femmes Françaises par un discours flam-boyant qui constitue l’appel du 7 août affiché partout en France dès le lendemain.
Il milite aussi pour la cause féministe : secrétaire général de la Ligue Française pour le droit des Femmes dès 1889, plaide pour les droits civils et politiques de la femme : accès des femmes au barreau, éligibilité aux conseils de prud’hommes, limiter le travail de nuit des femmes et enfants, libre disposition pour la femme mariée de son salaire, créer un congé maternité…
République Française Aux femmes françaises La guerre a été déclarée par l’Allemagne malgré les efforts de la France, de la Russie, de l’Angleterre pour maintenir la paix. A l’appel de la patrie, vos pères, vos fils et vos maris se sont levés et demain ils auront relevé le défi. Le départ pour l’armée de tous ceux qui peuvent porter les armes laisse les travaux des champs interrompus : la moisson est inachevée, le temps des vendanges est proche. Au nom du Gouvernement de la République, au nom de la nation toute entière groupée derrière lui, je fais appel de votre vaillance, à celle des enfants que leur âge seul, et non leur courage dérobe au combat. (…) Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés. Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime : tout est grand qui sert le Pays. Debout à l’action, au labeur ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. Vive la république ! Vive la France ! Paris le 8 août 1914.
Pour le Gouvernement de la République Le Président du Conseil des Ministres René Viviani
Lettres à Chomo
par Jean-Jaques Guéant
11 octobre 1966
Ce matin j’ai pensé à toi Chomo, l’ermite de la forêt de Fontainebleau.
Pieds nus sur le sable blond devant notre bivouac logé sous de gros blocs de rocher. Je m’étire dans l’air vif, saluant un bouquet de bouleaux frétillants qui semblent attendre tout aussi impatiemment que moi le lever de soleil.
Je viens de sortir, courbé et presque à genoux, de notre terrier de grès, encore tiède des braises somnolant dans l’âtre, son plafond ventru posé sur la platière.
Toi aussi tu es sans doute éveillé par cette aube qui allume les pignons alentours, ou bien par le chant de ton coq préféré. L’air semble se mettre en mouvement, doucement, signe d’une belle journée d’octobre, d’un week-end « indien ».
Mes compagnons d’escalade dorment encore dans leur duvet boudiné, sur un tapis de fougères, calés contre des blocs de pierre où l’écoulement de bougies fondues s’est figé en rides épaisses, témoin d’une veillée prolongée…
C’est vrai, hier soir, après avoir longé la platière, franchi des étroitures – sac au dos – nous avons remonté le sentier des Béorlots sous un clair de lune éblouissant qui nous troublait et nous excitait.
Comme chaque fin de semaine, tel un rituel, nous sommes venus de la capitale pour retrouver ce sentier sablonneux, sinueux qui conduit à notre bivouac préféré… Là, c’est une règle tacite, premier arrivé, premier locataire. La fumée qui s’élève de la cheminée camouflée donne tout de suite l’information aux bivouaqueurs du week-end d’aller chercher plus loin leur terrier d’une nuit. Ici que des locataires intérimaires, point de propriétaires…
Hier soir donc, cette sacrée lune – une de tes fidèles compa-gnes Chomo – dilatait notre espace familier, au point de nous croire en plein jour. Ou plus exactement comme dans un décor de « nuit américaine » avec la caméra de François Truffaut à l’affût derrière un bosquet de bouleaux.
Les ombres fraîches, laiteuses que nous traversions perturbaient nos repères habituels, et délicieusement à chaque bifurcation, le choix du chemin à prendre nous rendait tous hésitant pendant quelques secondes. Pendant ce court instant où le silence nous saisissait immobiles, les rochers coiffés d’une lumière crémeuse nous apparaissaient sous des formes inconnues, chaotiques ou fantastiques, qui nous laissaient croire que nous pouvions être… perdus. Définitivement.
18 octobre 1966
J’ai pensé à toi Chomo parce que je sais que tu bivouaques à 500 mètres de notre bivouac : à la limite d’Achères-la-Forêt.
Mais depuis combien d’années ? Je n’ai pas osé te poser la question l’autre jour en allant te rendre visite avec un petit groupe d’amis curieux de ton « train de vie ». Ton bivouac m’est apparu au milieu d’un fouillis surpeuplé. Pas de grimpeurs ou de randonneurs, rien que des silhouettes, des signes, des créatures étranges qui m’intimidaient. Je n’étais rassuré que par la terre battue, le sable battu que tu foules au fil des saisons, chaque jour de l’année, et par ces brandons de pin tordus et brûlés qui me rappelaient en miniature cette forêt des Trois Pignons que certains qualifient poétiquement de « forêt posée sur le sable » !
Ce matin, comme la semaine dernière, le soleil monte à présent et réchauffe les flancs des blocs de grès posés sur le sable blanc de notre bivouac. Est-ce que ton coq a fait le tour de ton ermitage Chomo ? Comme nous celui de notre bivouac ?
Le doux ronron du réchaud s’épand dans l’air, avec l’odeur du café matinal. Avec les copains on discute d’escalade, de montagne, et comme le temps ne nous presse pas, les rochers étant encore trop humides pour grimper, on reparle avec ardeur de l’autoroute A6 la scélérate qui traverse le massif des Trois Pignons comme une balafre honteuse…
Tu as bien dû connaître ce « big » chantier des années 1962 ou 1963 Chomo ? non ? Rappelle-toi c’est l’année où explose une bétonnière rouillée, en pleine nuit sur le chantier qui défigure la massif des Trois Pignons à quelques embardées d’Achères-la-Forêt. Résultat : dégâts matériels et quelques brefs articles réprobateurs dans les journaux de l’époque. Des fous de nature ? éco-guerriers ? terroristes voulant signer leur réprobation, comme ça, pour mémoire ? Dans le bulletin du Club-Alpin je crois bien avoir lu un article dont l’auteur, peu convaincu, peu convaincant, condamnait les irresponsables du bout des lèvres !
Et toi Chomo ? – qui te tiens éloigné il est vrai de tout vacarme mécanique, as-tu seulement visité ce chantier dévastateur lors de tes pérégrinations en forêt ? Tu ne m’en parles pas, et pourtant tu as l’ouïe fine, tu entends forcément le brouillage, le froissement incessant du silence par les inter-minables trains de camions trouant la nuit, lorsque le vent du nord souffle jusqu’à ton ermitage… ?
Pour calmer les impatiences de notre génération, chaque fois que nous abordons ce sujet entre copains, nous achevons nos discussions animées dans un consensus déclamatoire : « Que faire ? Oui ! végétalisons l’infâme corridor bétonné ! » Nous jurons tous en coeur que nos petits-enfants y pique-niqueront, et qu’au centre ne sera sauvegardé, pour hommage aux hardis terroristes, qu’un discret liseré de béton… dévolu à la circulation vélocipédique. Et bien visible à la place du radar automatique : une grande sculpture de pierre en forme … de bétonnière !
31 janvier 1975
C’était il y a deux ans, jour pour jour. Pourquoi te narrer à présent cette dérive hivernale Chomo ?
Parce que cet hiver là je crois bien avoir croisé tes traces dans le massif des Trois Pignons… Voici l’histoire Chomo :
Au cœur de l’hiver, soudain une envie de partir. Avec un ami, Dan, nous organisons nos sports d’hiver aux portes de Paris : pas de stations, pas de dameuses, mais de l’aventure, une “expé” à mini budget. Nous voulons rallier à pied Bois-le-Roi à Nemours (40km) en trois jours. Neige ou pas neige. Peu importe on part. Le train nous dépose tôt le matin dans la petite gare de Bois-le-Roi (-6°). Le couvercle gris de l’hiver sur nos têtes. Notre expédition commence : direction plein sud et deux bivouacs en perspective.
Avec Dan, mon copain, on s’élance sac au dos avec 3 jours d’autonomie pour traverser le massif de Fontainebleau du nord au sud. Le froid nous stimule et notre rythme de marche ne faiblit pas tandis que s’accumulent les nuages bombés de grésil ou de neige. Notre premier objectif c’est l’ermitage de Franchard où nous savons une petite auberge ouverte pouvant nous offrir un arrêt bienfaiteur.
Pour l’instant nous fonçons vers le Rocher Canon, gravis-sons le Mont-de-Fays pour redescendre vers le Cuvier Chatillon et traversons la N7 déjà recouverte d’une blanche pellicule de neige. Quelques rares voitures, phares allumés, traversent le silence ouaté. Timide d’abord, la neige devient abondante avec des averses obliques. Le vent s’est levé lorsque nous mettons le cap sur le Désert d’Apremont. Exaltés par notre randonnée quasi-nordique, nous marchons allègrement bonnet sur le front et guêtrés dans le sable mêlé de neige. A mesure que les flocons s’épaississent nous sourions sous nos anoraks piquetés de cristaux fondus.
Tout droit. Plein sud ? Mais où est le sud dans les tourbillons qui s’esquissent à présent autour de la platière ? Parfois nous reconnaissons au passage tel ou tel rocher, escaladé l’été en short léger (!) qui nous conforte dans notre itinéraire de plus en plus aléatoire.
Dans les gorges d’Apremont nous nous enfonçons à grandes enjambées dans une vallée qui blanchit à vue d’œil ainsi que les chênes au tronc crevassé. Les rochers s’encapu-chonnent peu à peu de grésil et de neige. Surpris par l’intensité des giboulées, nous nous arrêtons sous un auvent de pierre pour boire du thé. Où sommes-nous au fait ? Négligeant nos cartes – nous connaissons trop ce massif ! – nous improvisons notre chemin entre les blocs épars et méconnaissables. Croyant être sur le chemin de la Solitude, nous débouchons sur un carrefour à l’opposé de nos prévisions… Cette fois nous sommes perdus pour de bon. Enfin ! et nous rions de notre déconvenue secrètement souhaitée. On a en effet tourné en rond, comme les flocons et leur danse échevelée. On n’y voit point à plus de dix mètres dans le célèbre chaos labyrinthique d’Apremont et pas âme qui vive. Les récits de Jack London me reviennent à la mémoire… et si une aurore boréale sous nos yeux montait soudain au ciel ? Nous n’en serions point étonnés, tant le sentiment d’avoir quitté toute trace plausible de civilisation s’est emparé de nous depuis notre dérive arctique… !
Devant nous enfin une sorte de carrefour et des hêtres vénérables tenant la garde. Nous reconnaissons le carrefour de Bois d’Hyver – le bien nommé !- bien que la pancarte sur le tronc de l’un d’eux ressemble à un champignon de glace. Nous consultons nos montres, conscients que la durée du jour est limitée. La visibilité s’améliorant, nous nous hâtons vers les gorges de Franchard que nous atteignons au milieu de l’après-midi. L’auberge est effectivement ouverte, avec de rares clients venus là comme on se rend en Patagonie, au bout d’un chemin improbable, obstrué de congères. On se réchauffe dans la salle principale dont les baies donnent sur l’esplanade de l’ermitage. Alentour la neige s’est épaissie et nous éblouit presque. Encore un thé brûlant, de précieux biscuits grignotés au chaud et nous repartons plein sud vers les Trois Pignons que nous devons atteindre avant la nuit pour y bivouaquer.
Notre marche désormais nordique nous mène à la gorge aux Archers. Il ne neige plus et comme je ralentis quelque peu l’allure, mon copain s’en inquiète et m’interroge. Je boitille et j’ai mal à la jambe, on fera avec.
Bientôt la lumière du jour décline. Nous approchons des Cavachelins et des Trois Pignons, traversons l’autoroute sous ses voûtes de béton plongées dans un grand silence et parvenons à la Vallée Chaude. Sur la neige poudreuse des traces d’animaux croisent de plus en plus souvent les nôtres. Légers oiseaux, discrets mammifères. Il est manifeste que je traîne de plus en plus la patte et que je me surprends à grimacer avec certaines enjambées.
Le bivouac n’est plus très loin. On ne sort pas les lampes frontales mais ça ne saurait tarder. Tout à coup une ombre furtive au bout de la sente enneigée ? Le vent ayant cessé, un silence glacial s’empare du paysage. Intrigués, nous voulons aller voir. Ta frêle silhouette, Chomo, effleure une seconde mes pensées, mais je suis exténué, j’ai hâte de m’arrêter.
Enfin le bivouac salvateur. Sa réserve de bois sec à l’abri. Le feu pétille vite dans la cheminée et nous organisons notre couchage dans le premier Refuge de notre rando nordique.
D’ailleurs Chomo, c’est un Refuge proche du tien : 500 m précisément, comme tu sais !
Le lendemain le bilan est vite fait : là s’arrête mon aventure faute de jambes valides, tandis que mon courageux copain, Dan, poursuit seul l’itinéraire depuis longtemps concocté.
Dépité je rentre sur Paris grâce à un car pris à Achères-la-Forêt, tandis que Dan atteint Larchant, le second bivouac prévu, puis la gare de Nemours, étape ultime de “l’expé” entreprise… J’ai alors repensé à toi Chomo et à la sortie de ton bivouac pour aller marcher ce matin là, ébloui par la neige fraîchement éboulée.
Tu as raconté plus tard ces traces relevées, que tu as suivies par réflexe comme un chasseur fébrile, mais croyant avoir affaire à des escarpins de femme enfoncés dans la neige !
Ce matin là le soleil faisait resplendir la forêt de cristal, et ces traces échauffaient ton esprit. Là-bas au bout du sentier tout était possible : un mammifère, humain ou non humain ?
Escarpins féminins ou fins sabots de chevreuil ? Comment en décider ?
Ce matin là Chomo, ta dérive hivernale t’a emmené loin, loin de ton bivouac, au bout de tes forces, aux limites de ton imaginaire enflammé, pour donner corps à ce qui enveloppe, protège, crois-tu, ton « comté des sables » : la Déesse-Mère.
Puis tu es rentré essoufflé, suant, ruant dans la neige labourée de traces embrouillées. Ton expédition n’était pas plus réussie que la mienne. Mais une vision fulgurante t’avait mis en marche.
A propos Chomo, connais-tu Aldo Léopold ? Un des fonda-teurs de l’écologie moderne qui écrivait en 1948, vers la fin de sa vie, un « Almanach d’un Comté des sables » ? Il y consigne l’observation de la nature au fil des mois, et, dès le mois de janvier, scrute les traces de vie sur la neige :
“ La trace témoigne d’une indifférence aux affaires de ce monde qu’on trouve rarement en d’autres saisons ; elle file droit à travers champs, comme si son auteur avait attelé son chariot à une étoile et lâché les rênes. ”
Lâche les rênes Chomo, lorsque tu te mets en marche sur le chemin de la Déesse-Mère, et retourne-toi ! Vois alors tes traces s’effaçant à mesure que la terre remuée se referme derrière ton chariot Préludien…
2 juin 1980
Chomo j’ai appris ce printemps que tu creusais dans ton « comté des sables » de longues et étroites tranchées pour y enfouir des totems et des statues… A vrai dire ton Art Préludien m’intrigue de plus en plus. Tu as de la chance avec ton bivouac posé sur les sables, tu peux explorer ton sous-sol sans danger, le fouiller tranquillement à la pelle, avec des souterrains comme si tu voulais te faire sanglier et t’y rouler dedans en grognant, ou bien planter des statues à l’entrée comme les égyptiens près de leurs chambres funéraires ?
Tu prétends aussi avoir dégagé, près de ton bivouac, un bloc de grès qui serait « un chameau sculpté sorti du désert paléolithique » (dixit). Toujours ce besoin d’explorer ? D’être à l’affût ?
Je me suis demandé ce qui peut inspirer ta Déesse-Mère. Certes les rotondités des roches gréseuses offrent un large éventail de vénus callipyges. Mais as-tu été lire les roches gravées qui se trouvent à un jet de pierre de ton bivouac ?
Moi si. Et j’ai aimé. Pas tout de suite. Faut s’habituer aux quadrillages, sillons, marelles, séries parallèles, aux cupules, rouelles… Du répétitif, pas emballant. Mais la Grotte Vibert elle, ne passe pas inaperçue : la géode est belle, perchée sur la crête du Pignon. Tes ancêtres chasseurs-cueilleurs, les miens aussi d’ailleurs, sont bien venus là il y a plus de 5000 ans. Et toi adepte de la réincarnation tu ne les aurais point vus ?
Peut-être que si : c’est ce que je me dis parfois en regardant tes statues arrachées à la Terra Mater qui parlent une langue bien étrange comme sorties directement de l’ombre d’une géode mésolithique !
Et puis je me souviens : j’ai rencontré J.C. Bédart un artiste singulier, dans les marges, un peu comme toi. Du « Brut » quoi. Il me disait tout le bien possible des 1000 géodes gravées, ou abris ornés de Fontainebleau et ses environs. Mais ornés de quoi ? Voilà bien le problème :
« Très rapidement, je m’aperçus que l’ensemble gravé de Fontainebleau articulait la préhistoire et l’histoire, couvrant plusieurs millénaires de juxtapositions de signes »
Les graveurs, selon lui, projetaient leur propre corps dans la géode gravée, car gravure = usure, érosion, acte symbolique de dématérialisation au profit du cosmos. L’humain s’empare du signe et s’approprie l’espace. Les tentatives d’explication des gravures pariétales passent à côté d’une évidence : à la fin du mésolithique, l’art pariétal jusque là figuratif, entre dans une nouvelle évolution, celle de l’abstraction, matrice de l’écriture à venir…
Encore une fois Chomo : as-tu été lire ces parois rupestres ? J’attends ta réponse toi qui te proclames Préludien, qui sans cesse vadrouilles du visible au lisible, prévoyant la décom-position fertile de toute œuvre…
Or samedi dernier j’ai repéré, oui ! ta signature elliptique dans un coin reculé de la grotte Vibert !!!
Oh Chomo sacrilège ! Pris en flagrant délit d’enfouissement au cœur de la mémoire paléolithique… !